jeudi 15 juillet 2010

Toute la fragilité du monde

Le bébé hérisson tient en le creux de la main.
Son sort dépend bien plus des hommes que des renards...

lundi 12 juillet 2010

Écologie et retraites :"pour une écologie du troisième âge"

Découvrez ce texte printanier et dédions-le à notre Président de la République qui ne bat pas encore en retraite.


Le débat sur les retraites est curieux. Il s'agit des conditions de vie et du bien-être des futurs retraités, en 2030, en 2050, etc., c'est-à-dire les mêmes échéances que celles qui servent de repères à des projections et politiques du climat et d'autres ressources naturelles.

L'analyse actuelle du financement des retraites repose sur des hypothèses de croissance économique et de gains de productivité à l'infini (souvent 1,5 % par an en moyenne). On oublie de se demander si c'est compatible avec les exigences d'une société soutenable, si le bien vivre des futurs retraités ne risque pas d'être compromis par ces stratégies de croissance, et si la croissance quantitative ne va pas s'effondrer quoi que l'on fasse dans les pays riches, du fait de l'épuisement d'une nature surexploitée et de la fin du pétrole et d'autres ressources indispensables à des gains de productivité globaux.

Il serait temps de s'interroger sur le paradoxe qui consiste à défendre l'environnement des générations futures à propos du climat et à l'oublier lorsqu'il est question de leurs retraites à long terme. Cela conduit-il à un pessimisme aggravé ? Si les hypothèses du Conseil d'orientation des retraites (COR) en matière de croissance doivent être revues à la baisse, si la croissance quantitative devient nulle, n'est-ce pas pire encore que les scénarios actuels ? En aucun cas, à condition toutefois de sortir des raisonnements économiques standard. Il existe deux pistes crédibles à combiner : la réorientation de la production vers des "valeurs ajoutées durables", sans croissance globale des quantités, et le partage des richesses.

La première piste revient en fait à rappeler que la richesse nationale qui sert de base au financement public n'est pas dans les quantités mais dans la valeur ajoutée. Les scénarios productivistes oublient la possibilité de produire plus de valeur ajoutée, sans croissance quantitative, par une montée en durabilité (qui échappe largement aux mesures de la croissance en volumes). A quantités produites identiques, il y a nettement plus de valeur ajoutée monétaire (et d'emplois), donc de richesse économique, donc de bases de financement de la protection sociale, dans les productions les moins polluantes et les plus douces avec la nature. La valeur ajoutée durable devrait devenir la grande ressource économique du futur, à l'opposé de la mythique croissance verte.

La deuxième piste est le partage des richesses. Pas seulement les richesses marchandes. Le pouvoir d'achat des retraites, c'est très important, surtout pour les petites et moyennes retraites dont la régression est programmée. Mais il faut aussi développer des services hors marché (santé, culture et sport, transports collectifs, soins pour tous...) et l'accès à des richesses non économiques (liens sociaux, participation citoyenne, richesses naturelles...) pour fonder le bien vivre des retraités.

http://www.npa05.ouvaton.org/files/images/1611_retraite_a.jpg

Pour financer les retraites, les dizaines de milliards d'euros à trouver annuellement existent déjà, sans croissance. Il faut les sortir des "niches" fiscales et sociales les plus contestables et prendre l'argent là où il est : les hauts revenus (qui ont bénéficié de dix ans de cadeaux fiscaux énormes) y compris les retraites indécentes, l'excès de profits, la spéculation, la fraude fiscale et les niches et paradis fiscaux. En tout, cela fait 80 à 100 milliards d'euros par an de manque à gagner pour les finances publiques. Qui plus est, ces deux pistes se confortent mutuellement. La montée en durabilité de la valeur ajoutée élargit la base de financement, et la réduction des inégalités est favorable à l'adoption de politiques écologiques socialement acceptables.

Avec de telles orientations, le droit à une retraite de bonne qualité à 60 ans peut être assuré durablement. Ceux qui défendent cet acquis ont d'excellents arguments. La retraite à 60 ans reste un outil majeur à la fois de partage du temps de travail (quand il y a quatre à cinq millions de personnes au chômage ou en sous-emploi et quand l'âge moyen de cessation d'activité est de 59 ans) et de relativisation de l'emprise excessive du travail et de l'économie sur la vie et sur la nature. Ce ne sont pas les activités bénévoles d'utilité sociale et écologique qui manquent pour des "seniors associés", qui ont d'autres projets de vie que la chaise longue.


Jean Gadrey, professeur émérite, université Lille-I
Le Monde - 24 avril 2010

samedi 10 juillet 2010

"Le noeud de la crise" selon Hervé Kempf

C'est un tournant dans la pensée : l'Occident ne dominera plus longtemps le monde. Plus : il a vécu au-dessus de ses propres moyens et c'est pourquoi la prédation lui était indispensable. C'est fini. Nous allons changer de vie parce que nous sommes ramenés à ce que nous sommes. Retarder l'échéance en faisant porter aux plus modestes la charge commune est une tentation qui ne tiendra pas longtemps. Hervé Kemf l'explique ainsi :

Entre le G20 qui s'est achevé à Toronto, dimanche 27 juin, dans une ambiance morose, et le plan de rigueur français qui doit être annoncé, mercredi 30 juin en conseil des ministres, les économistes font grise mine : oui, la crise est là, et elle va durer.

Rien de surprenant si l'on regarde l'horizon. Qu'est-il en train de se jouer durant ces premières décennies du XXIe siècle ? La convergence progressive des niveaux de vie à travers la planète. Du fait de l'unification de la culture mondiale, la logique d'une égalisation des niveaux de vie s'impose progressivement.

L'étonnante émergence de puissances comme la Chine, l'Inde ou le Brésil n'est pas autre chose que la manifestation de ce basculement historique.

Il s'agit de retrouver la situation précédant la révolution industrielle, quand un Chinois ou un Indien partageait peu ou prou les mêmes conditions d'existence qu'un Européen. Mais la contrainte écologique fait que cette convergence ne peut pas se faire par le haut : les dirigeants du G20, dont le communiqué est marqué de l'économisme le plus étroit, l'ont oublié, mais l'environnement frappe sans arrêt à la porte, comme le montrent par exemple en ce moment la marée noire du golfe du Mexique, les pluies diluviennes en Chine ou les inondations au Brésil.

La convergence ne pourra pas se faire au niveau dont jouissent les Occidentaux, parce que l'équilibre écologique, déjà mal-en-point, n'y résisterait pas. Elle va s'établir bien plus bas. Cela signifie qu'Américains et Européens doivent réduire leur consommation matérielle. S'appauvrir, pour parler clair.

C'est ce qu'ils commencent à faire, nolens volens, du fait de la crise économique, qui est née de leur oubli de l'environnement par une surconsommation qu'a entretenue un endettement démesuré. Comme le disait Angela Merkel à Paris dès janvier 2009, "les pays industrialisés doivent absolument comprendre que nous avons vécu au-dessus de nos moyens".

C'est cela qui se joue en ce moment. On ne saurait oublier une donnée vitale, toujours tue par les économistes médiatiques : l'inégalité immense qui règne aujourd'hui.

La réduction de la consommation matérielle ne peut être bénéfique que si elle se fait équitablement. Cela suppose une redistribution drastique de la richesse, la socialisation du système financier, et l'investissement dans les biens communs utiles socialement et peu dommageables écologiquement : l'éducation, la culture, la santé, l'agriculture, une autre énergie. Les maîtres au pouvoir font l'inverse. Et la crise continue.

samedi 3 juillet 2010

Un livre pour les vacances...


Sortie chez Actes Sud : Avril, 2010, 168 pages. prix indicatif : 21,00€

Beaucoup ont vu le film.
Il en est sorti un livre.

Le voici résumé.
Cela donne à penser.

Bon été 2010...

Jean-Pierre Dacheux

1/5) introduction de Coline Serreau (réalisatrice des films la Belle Verte et Solutions locales pour un désordre global)

L’un de nos grands chantiers philosophiques actuels est d’accepter que l’humain n’est supérieur à rien. L’accepter, c’est vivre une blessure narcissique très violente, du même ordre que celle qui nous a frappé lorsque nous avons découvert que la Terre était ronde, tournait autour du soleil, qui n’était lui-même qu’une banale étoile semblable à des milliards de milliards d’autres dans un univers dont les véritables dimensions nous échappaient. Les généticiens ont été très vexés de découvrir qu’une simple plante comme l’orge avait deux fois plus de gènes que l’homme. Les humains s’autoproclament la race la plus évoluée, ils devraient avoir l’intelligence de s’interroger sur cette soi-disant supériorité.

Nous ne pouvons plus dépendre du bon vouloir des marchands et des politiques en ce qui concerne notre survie. Les gouvernants sont devenus les gérants et les valets des multinationales. Une des solutions, c’est le « retour en avant ». Retrouver à travers de petites structures locales une autonomie alimentaire sans produits chimiques, qui nous rende notre liberté et assure notre subsistance.

2/5) Les errements de la croissance :

Devinder Sharma (ingénieur agronome indien)
Chaque fois que je donne une conférence, je pose la question : Qu’est-ce que la croissance ? Qu’est-ce que le PIB ? C’est la somme d’argent qui change de mains. C’est très intéressant. Si vous avez un arbre debout, le PIB ne change pas. Si vous coupez l’arbre, le PIB augmente. S’il y a une rivière qui est propre, le PIB n’augmente pas. Mais si la rivière est polluée, le PIB augmente, non pas une, mais trois fois. Pourquoi ? D’abord, puisque des déchets ont été rejetés dans la rivière, c’est que de l’argent a été échangé, donc le PIB augmente. Ensuite, quand la rivière est polluée et que les riverains boivent son eau, ils tombent malades, vont chez le médecin et, de nouveau, de l’argent est échangé. Et enfin, si vous apportez une technologie pour nettoyer la rivière, de l’argent change encore de mains et le PIB augmente encore. Quelle magnifique façon de se développer ! Pourtant partout dans le monde, les étudiants apprennent que la croissance économique supprime la pauvreté et apporte un développement durable !

Jean-Claude Miché
a (philosophe français)
Quelquefois je m’amuse à poser à mes élèves la question : « Etes-vous pour l’augmentation ? » Et je laisse planer un silence. Au bout d’un moment, il y en a toujours un qui, timidement, demande : « L’augmentation de quoi, Monsieur ? » Je leur réponds : « Bonne question, dictée par le bon sens ! » L’augmentation ne peut pas, en effet, être un programme en soi. Eh bien, sachez que les maîtres de ce monde adoptent pourtant cette position étrange : pour eux, la croissance, c’est-à-dire l’augmentation indéfinie de toute production rentable, définit une philosophie à part entière. Mais quelqu’un qui fait un peu de philosophie aurait envie de rétorquer : « La croissance de quoi ? »

L’idée que, pour devenir un véritable citoyen du monde, il faudrait rompre avec tous les enracinements particuliers qui nous définissent au départ – l’attachement à des êtres, à un lieu, à une culture, à une langue – est au cœur du système libéral. De ce point de vue, l’acte émancipateur pour le libéral, c’est la délocalisation, la dissolution de toutes les frontières. Il faudrait produire à la chaîne des hommes capables de consumer leur vie entre deux aéroports avec, pour seule patrie, un ordinateur portable. Ce mode de vie hors sol, ce nomadisme perpétuel dans un monde sans frontières et porté par une croissance illimitée, la gauche a fini par le célébrer comme l’incarnation de la tolérance et de l’ouverture d’esprit, alors que c’est simplement la façon qu’ont les élites globales de vivre leur coupure structurelle d’avec les peuples. Je me demande s’il ne faudrait pas parler de « gauche kérosène » plutôt que de « gauche caviar » pour désigner cette nouvelle manière mobile d’exister.

3/5) La dégradation de l’agriculture :

Claude Bourguignon (docteur ès sciences de la microbiologie des sols)
J’ai fini mes études de zoologie et de biochimie pour rentrer à l’Agro. Et là, j’ai été horrifié. Il y a même eu des ingénieurs ingénieux qui ont créé des variétés de poulets sans plumes, parce qu’ils avaient calculé que la plume consommait de l’azote et de la potasse. Et puis ils se sont rendus compte que les poulets sans plumes, ils avaient froids, qu’il fallait chauffer les bâtiments, que ça coûtait plus cher que l’azote, alors finalement ils ont remis des plumes sur les poulets.

Il se trouve qu’il y avait encore une formation en microbiologie des sols. J’y aussi allé et, quand je suis arrivé en troisième année, j’étais le seul. Depuis la chaire de microbiologie a été supprimé en 1986. Il y a donc, depuis plus de vingt an, 150 ingénieurs agronomes qui sortent chaque année en France, et qui ne savent pas ce que c’est que la biologie du sol, ni comment fonctionnent les microbes. Rien. Ils ne savent même pas que le sol est vivant, ils sont prêts à déverser des pesticides et des engrais. Ils ne savent pas que, chaque fois que vous mettez un grain de potasse sur un verre de terre, il est mort. Toutes les chaires de microbiologie ont été supprimées dans le monde. Pourtant les forêts, elles poussent sans engrais chimiques, sans l’aide de personne, et elles poussent depuis des millions d’années. Mais l’agronomie a fait croire aux gens que sans engrais on allait tous mourir de faim. C’est une propagande.

Le propre du paysan, c’est de produire des graines à lui. Maintenant on lui impose des variétés hybrides qui ne sont pas issues de son terroir. Et évidemment, il est pénalisé parce que cette plante-là demande de l’eau ou est fragilisée par ce climat-là. Du coup on lui vend de l’irrigation, ou des pesticides, alors qu’avant, il avait ses propres variétés rustiques qui poussaient sans eau. On accuse les agriculteurs d’être des pollueurs, c’est tout le système qui les a amenés à polluer.

Ce que les gens ne savent pas, c’est qu’il y a une entente entre les semenciers et les marchands d’engrais. Prenons l’épeautre, qui est une espèce de blé très rustique qui n’a pas besoin d’engrais. Il a été éliminé du catalogue autorisé des semences parce que, comme il ne nécessite pas d’engrais, on ne peut pas faire de l’argent avec lui. On avait 10 espèces de blé en 1900 avec des centaines de variétés de chaque espèce. Nous n’en avons gardé que deux, une qui fait le blé dur, Tricitum durum, et une qui fait le blé classique, Tricitum aestivum. Autrefois les champs de blé étaient très hauts. Maintenant on sélectionne pour que les blés soient tous à la même hauteur et que la machine puisse les couper correctement. C’est-à-dire que ce n’est pas la machine qui s’adapte à la vie, c’est la vie qui doit s’adapter à la machine. Au XVIIIe siècle, Buffon a eu cette phrase extraordinaire : « Plus l’espèce humaine croît, plus le monde animal sent le poids d’un empire terrible. »

Lydia Bourguignon (maître en sciences agroalimentaires)
Dans un sol vivant, on arrive à compter 4 milliards d’animaux à l’hectare, et il y a des sols où on ne trouve rien. Les acariens, collemboles et cloportes sont massacrés par les pesticides alors que ce sont eux qui rendent le sol vivant. C’est un monde invisible qui travaille gratuitement pour nous, donc ça ne plaît pas à l’agrochimie. Comme on ne les voit pas, les gens ne croient pas que ces animaux existent. Alors que la machine, elle se voit, elle coûte cher. Le ver de terre, c’est moins sexy…

Il n’y a qu’à voir le matériel agricole. Les tracteurs, les engins agricoles, c’est de la démesure ! Cette puissance de la machine confrontée au sol… On dirait des monstres prêts à écraser cette pauvre terre. En fait, on a vraiment l’impression qu’ils font la guerre à la terre.

La France, premier pays agricole d’Europe, ne se nourrit pas. Elle importe 80 % de ses compléments alimentaires animaux. Nous volons la terre des autres. Nous consommons 6000 mètres carrés de terre arable par habitant, les Américains 8000. Dans le monde il n’y a que 2500 mètres carrés par personne. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu’il y a des gens qui ne mangent pas. Et effectivement il y a 850 millions de personnes qui crèvent de faim.

4/5) L’exemple de la révolution verte

Devinder Sharma (ingénieur agronome indien)
Il y a quarante ans, nous avons opté en Inde pour la « révolution verte », qui a introduit des semences hybrides, des engrais et pesticides chimiques, des cultures très gourmandes en eau, etc. C’est tout notre mode de culture que nous avons alors modifié. L’Inde est devenue autosuffisante. Mais maintenant, qu’est-ce que l’on constate ? En fait ce type de technologie agricole a détruit les ressources naturelles et a conduit les agriculteurs à la faillite : aujourd’hui nous sommes confrontés au taux de suicide le plus élevé au monde. En Inde, toutes les heures, 2 agriculteurs se donnent la mort quelque part. Cela montre l’état de détresse du monde agricole. Des études récentes ont montré que 40 % des agriculteurs souhaiteraient abandonner leur métier. Qu’allons-nous faire de 600 millions de personnes ?

Dominique Guillet (président fondateur de Kokopelli)
La révolution verte, qui débute en 1961, était verte surtout par la couleur du dollar. Ils ont fait beaucoup de dollars avec, mais pour les gens du Tiers-monde, c’était terrifiant ! Parce que la révolution verte a détruit les sols, l’eau, la biodiversité. En Inde, des milliers de variétés de riz ont disparu. On a détruit le tissu social indien. L’agriculture indienne servait avant tout à nourri la famille, on en a fait des récoltes à valoriser sur le marché régional, national ou international. Avant, dans les rizières, les femmes ramassaient des grenouilles, des poissons, de soi-disant mauvaises herbes qui étaient en fait pleine d’oligo-éléments et de protéines. Or, sous l’impact des agrotoxiques de la révolution verte, tous les poissons, les grenouilles et les herbes ont été éradiqués. Par ailleurs les fluctuations des prix sur le marché international peuvent très vite ruiner un agriculteur. Si bien qu’un nombre considérable de petits paysans indiens, piégés par ce système, ont déposé leur bilan quand ils ne se sont pas suicidés.

Vandana Shiva (physicienne et épistémologue indienne)
La révolution verte a reçu le prix Nobel de la paix sous le prétexte que les nouvelles technologies en chimie allait apporter la prospérité, et que la prospérité apporterait la paix. Cela s’est appelé la révolution verte, par opposition à la révolution rouge qui se répandait en Inde, venant de Chine. Les Américains se sont dit : « Diffusez les produits chimiques et vous éviterez le communisme. » Malheureusement ces produits coûtaient cher et nuisaient à l’environnement. Tout cela s’est révélé au bout de dix ans, si bien qu’au lieu d’être en paix et de profiter de la prospérité, les jeunes ont connu une nouvelle pauvreté et pris les armes. Après la répression très violente par les forces militaires contre les insurgés dans le Punjab, on ne pouvait plus prendre son fusil ; alors les agriculteurs ont commencé à boire les pesticides pour mettre fin à leurs jours. Au cours de la dernière décennie, nous avons ainsi perdu 200 000 agriculteurs.

On est aussi en train de détruire la biodiversité. L’agriculture industrielle a réduit notre alimentation de base à 5 ou 6 plantes alors qu’autrefois nous consommions 1500 plantes différentes. L’agriculteur moyen en Inde cultivait 250 espèces. C’est une nouvelle pauvreté. A tous les niveaux c’est donc une agriculture suicidaire. C’est une fausse intelligence qui découle de l’idéal de domination sur la nature, qui veut faire table rase de tout notre savoir ancestral. En fait cette agriculture soumet la nourriture au contrôle de ceux qui se fichent complètement de la planète, et n’ont d’intérêt que pour leurs profits. Nous devons nous réapproprier notre nourriture. Si nous échouons, non seulement nous n’aurons pas de liberté, mais nous n’aurons pas de pain.

5/5) l’autonomie territoriale comme avenir :

Joao Pedro Stedile (économiste et activiste social brésilien)
Dans le mouvement de la Via Campesina, nous défendons le concept de souveraineté alimentaire, l’idée que chaque communauté doit produire ses propres aliments. Pas seulement pour être politiquement indépendante, mais aussi pour apprendre à vivre avec les êtres vivants qui partagent avec nous cette planète. Et cela n’est réalisable qu’à travers une agriculture paysanne, familiale, en polyculture, le contraire de l’agriculture industrielle.
Bien entendu les gouvernements n’aiment pas ça, parce qu’ils sont vendus aux entreprises. Ils sont devenus les gérants de leurs volontés.

Pierre Rabhi (un des pionniers de l’agriculture biologique)
Tout ce que nous faisons à la terre, nous le faisons à nous-mêmes. Quand je vois cette terre indispensable à notre survie bétonnée, malmenée, et qu’on observe que le désert s’installe, on comprend qu’on est dans un processus qui ne peut qu’aboutit à des famines et à des pénuries catastrophiques. Je ne vois pas dans l’avenir un espace rural désertifié et des millions de gens confinés dans les villes, qu’il faudra nourrir sans qu’ils participent à la production de leur propre nourriture. Ce serait de la folie. L’agriculteur est le premier responsable de la santé de l’humanité, avant même le médecin.

L’agriculture a subi un dommage très important à cause de la spécialisation. Avant, dans les fermes, tout était regroupé : la production végétale, les animaux, le poulailler. Ensuite il y a eu des viticulteurs, des arboriculteurs, des maraîchers, des producteurs de viande, de lait, et tout a éclaté en spécialisations. Or ces spécialisations vont à l’encontre du système intégré, qui donne de la force parce qu’on ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Si on est défaillant sur une production, l’autre peut nous sauver. Alors que, si on ne fait qu’une culture et qu’elle échoue, on est ruiné. Une structure à taille humaine présente en plus l’avantage de reconstituer l’écosystème. Je mets du compost dans la terre qui produit des végétaux, qui nourrissent les animaux, qui font du fumier, qui est reçu sur une litière, qui est compostée, et la boucle est bouclée. Si en chemin je produis mes graines, je crée vraiment un système autonome.

Et l’autonomie, c’est le maître mot, c’est la seule chose qui nous permettra de sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons. Car on ne se rend pas compte que notre capacité à survivre par nous-mêmes est chaque jour confisquée par des systèmes totalitaires, des tyrannies économiques. Et la seule chose qui puisse ébranler les multinationales, c’est de nous organiser pour ne pas en avoir besoin. Ce qui implique de re-localiser l’économie et que chaque territoire puisse assumer ses besoins, ce qui limitera les transports, la dépendance, la pollution, la dégradation… Cultiver son jardin quand on en a la possibilité, c’est donc un acte politique, un acte de résistance.

Emmanuel Bailly (concepteur de l’idée d’écorégion et créateur de l’indice de souveraineté alimentaire)
J’ai calculé pour le Limousin un équivalent habitant/consommation alimentaire qui mesure les quantités consommées par habitant et par an : 100 kilos de viande, 115 kilos de légumes et 60 kilos de pain. Je les compare à la production déclarée par les agriculteurs du Limousin. Je me suis alors aperçu que le Limousin ne produisait plus rien à manger à part des bœufs engraissés aux OGM, programmés pour être exportés en Espagne. Je me suis aperçu que, sur 7400 hectares auparavant dévolus aux pommes de terre, il n’en reste plus que 300 et, sur les 1300 hectares de légumes frais, plus que 300 aussi. Ce qui correspond à 8 % de la demande alimentaire. C’est-à-dire que 92 % de l’alimentation des habitants du Limousin sont importées. Et toutes les régions de France sont fragilisées de cette façon. L’Ile de France ne fabrique que 1 à 2 % de l’alimentation de ses 11,5 millions d’habitants. La souveraineté alimentaire de la France est inexistante et, en cas de catastrophe climatique, sanitaire ou énergétique, on est incapable d’approvisionner notre pays

L’objectif de la PAC était de garantir la souveraineté alimentaire de l’Europe. Elle l’a atteint, mais seulement sur des chiffres globaux, c’est-à-dire qu’un territoire peut ne faire que du blé et un autre que des poulets. Ces transports interminables autour de la planète pour nous amener ce qui est produit à l’autre bout du monde ne vont pas pouvoir continuer. Alors je me suis demandé comment on pouvait restaurer l’agro-immunité des régions qui va créer des millions d’emplois et garantir que ce ne sera pas la famine si les engrais, les tracteurs et le pétrole disparaissaient. La crise énergétique et climatique va obliger le citadin à prendre conscience de la nécessité de cultiver la terre. Il faudra finir par choisir entre conduire et manger. Quand on a tout épuisé et qu’on n’a pas d’autres solutions, on retourne à la terre, on retourne à la base. On devrait apprendre aux enfants à travailler la terre.

Les Français, les Européens et le reste du monde doivent prendre conscience que la seule richesse, le seul pouvoir qu’on a, c’est de retrouver une économie locale de survie.

Vandana Shiva (physicienne et épistémologue indienne)
Nous devons nous réapproprier notre nourriture. C’est pourquoi je parle de la souveraineté alimentaire comme de la démocratie ultime qu’il nous faut réinventer. Quant au mouvement officiel en faveur des produits biologique, si cela devient un marché du bio, il n’y a aucune différence entre le commerce de produits biologiques et l’industrie agroalimentaire classique. Les systèmes officiels de certification du bio nécessitent une bureaucratie lourde et coûteuse. L’écologie n’a pas besoin de bureaucratie. Le mouvement biologique doit être un mouvement de commercialisation directe, au niveau local. On connaît personnellement l’agriculteur, on sait d’où viennent les produits comme cela se passe dans les AMAP en France.

Nous voulons faire comprendre aux agriculteurs que, s’ils ont six membres dans leur famille, ils peuvent les nourrir avec moins de 200 mètres carrés à condition de cultiver des espèces variées. On cultive des petits pois, des radis, des pois chiches, de la moutarde, de l’avoine, des légumes, de l’oignon, de l’ail, du safran, des lentilles. Dans cette ferme modèle, nos principales cultures sont des cultures en terre sèche. Nous n’avons pas besoin d’eau. On dit aux agriculteurs : « Ne brûlez pas votre biomasse, répandez-là dans votre champ si vous ne voulez pas en faire du compost. Vous conserverez ainsi l’humidité plus longtemps et vous obtiendrez des engrais naturels sans rien faire. »

Dominique Guillet (président fondateur de Kokopelli)
Jusqu’en 1961, les multinationales de l’agrochimie avaient commencé à prendre le contrôle de la chaîne alimentaire, mais pas de la semence. Or la semence, c’est le début de la chaîne alimentaire. Celui qui contrôle la semence contrôle l’humanité. Ils se sont donc donnés un cadre juridique qu’on appelle l’UIPOV (Union internationale pour la protection des obtentions végétales). A partir de ce moment-là, il y a eu une offensive tous azimuts : ils ont racheté un millier de semenciers en l’espace de trente ans et aujourd’hui 5 multinationales contrôlent 75 % de la semence potagère, le numéro un étant Monsanto. Ils ont éradiqué les anciennes variétés qui se reproduisaient chaque année, et les ont remplacées par des hybrides F1, qui génèrent ce qu’on appelle un marché captif, c’est-à-dire que le paysan est obligé de racheter des semences tous les ans, car l’hybride F1 est soit stérile, soit dégénérescent l’année d’après.

L’association Kokopelli promeut le jardinage familial. On se bat pour l’autonomie semencière et l’autonomie potagère. D’un jardinet, on peut sortir des légumes toute l’année. Pendant l’hiver, on peut avoir des poireaux, des radis, des côtes de bettes, des brocolis, des choux, des laitues et des chicorées qui résistent à – 25 °C. Mais maintenant les gens poussent leurs caddies dans les supermarchés. La meilleure façon de lutter contre la société, c’est d’arrêter de consommer et d’aller au supermarché. Cependant je pense que la non-consommation ne viendra pas du cœur de l’individu mais de la pénurie. Et on n’en est pas loin.

jeudi 1 juillet 2010

L'écologie confrontée aux Voyageurs

Éragny et les « Gens du Voyage ».

Si l'on examine le cas d'une petite commune (17 000 habitants), "de bonne volonté", on s'aperçoit que, là comme ailleurs, les questions posées à la collectivité par l'habitat mobile ou la culture propre aux tsiganes ne sont pas véritablement prises en compte. Il s'ensuit des nuisances que l'on a un peu trop vite l'habitude de mettre sur le dos de cette population mal aimée.

Éragny-Magazine, dans son numéro 164, page 8, effectue le constat que les passages de caravanes sur le territoire communal sont difficiles à interdire. « Des procédures complexes » ralentissent l'exécution des mesures coercitives mettant fin à ces stationnements illégaux.

Certes, « les voyageurs ont laissé les lieux propres et déposé un don pour la Caisse des Écoles », mais, durant une bonne partie du printemps, les « contrevenants » ont bravé les autorités au point que « la police, en trop petit nombre » a dû, à cette occasion, « constater son impuissance ».

S'il faut « prendre la mesure de la complexité de la gestion de ces dossiers », c'est en se portant en amont qu'on peut y parvenir, car il s'agit de bien plus que d'un dossier, il s'agit de la vie même de Français qui ont, par la loi, droit à vivre en habitat mobile et qui n'y parviennent pas.

La ville d'Éragny sur Oise, du reste épargnée par rapport à ses voisines Herblay, Conflans-Sainte-Honorine et même Saint-Ouen l'Aumône, n'est évidemment seule responsable de cette situation qui relève de politiques d'État mises en échec. Toutefois elle en porte sa part.

Trois publics sont susceptibles d'occuper, irrégulièrement, des terrains publics ou privés :

• des Voyageurs de passage qui, notamment aux beaux jours, se déplacent en Ile de France, comme le font les Tsiganes, depuis des siècles. Il s'agit, à 99%, de Français.

• des Voyageurs, Français également, qui se sont immobilisés (plus que sédentarisés) pour des raisons diverses, misère, vieillissement, lassitude, volonté de scolariser les enfants, artisanat local connu et bien accueilli..., et qui s'installent dans des friches ou des bois, sans droits ni titres.

• des tsiganes étrangers d'Europe de l'Est, le plus souvent roumains, donc membres de l'Union européenne, s'installant dans des cabanes et caravanes, en bidonvilles, ou, briévement, au bord de routes ou chemins, sous un pont, voire dans un squat.

S'agissant des Français, la loi Besson de juillet 2000, a prévu pour les communes de plus de 5000 habitants l'obligation de disposer d'une aire d'accueil et de stationnement. L'application de la loi, contestée, mal appliquée, avance à tout petits pas, mais avance. La ville d'Éragny, comptant, comme elle y a droit, sur ses partenaires de la Communauté d'Agglomération, ne satisfait pas elle-même cette obligation. D'où une difficulté : le concours de la force publique ne lui est pas garanti par le Préfet pour contraindre des familles de passage à quitter les lieux improvisés où elles stationnent.

Les habitants de la commune vivant dans des caravanes qui ne voyagent plus (ou fort rarement), depuis des décennies, et dans des conditions de très médiocre salubrité, sont, eux, en équilibre entre la tolérance et le rejet. On accepte leur présence de mauvais gré et on les laisse à leur sort, ce dont les intéressés se contentent... Quant aux propriétaires de parcelles mal placées (sous des lignes à haute tension, dans des zones inondables, ou sur le passage éventuel d'une infrastructure routière), ils tendent le dos, et prient le ciel que le malheur ou la malchance ne vienne pas ruiner leur vie.

Quant aux Rroms roumains, ils n'occupent que très occasionnellement des espaces de la commune. Ils ont parfois, par le passé, squatté une maison, mais s'ils restent géographiquement proches de la commune, ils ne s'y installent pas. Au reste, certains ont accédé au logement social et s'y tiennent.

Il convient, en effet, de ne jamais oublier que les Tsiganes, français ou étrangers, parviennent plus souvent qu'on ne le croit, à vivre dans un habitat fixe, pavillonnaire ou même en appartement.

Éragny n'échappe pas à cette situation « mobile » où les intéressés vivent dans des conditions très différentes. On aimerait que ces « dossiers » soient abordés de front et pas seulement quand des présences intempestives, et subies, obligent à considérer ce que, ordinairement, on ne regarde pas.


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