vendredi 8 août 2014

Deleuze et Israël (1983)

Il faut relire ceux qui nous ont donné à penser et dont on s'acharne à oublier les enseignements, plus de 30 ans après ! Jean-Pierre Dacheux

Gilles Deleuze sur Israël et la Palestine dans "Deux régimes de fous" (1983). Le 3 août 2014.Par Yvan Najiels - Mediapart.fr

Voilà ce que Gilles Deleuze écrivait à propos de la création de l'état israélien sur le dos des Palestiniens dans son recueil de textes publié chez Minuit en 1983, Deux régimes de fous. Ce texte garde toute sa pertinence. Il illustre notamment très bien l'obscénité de celles et ceux, nombreux hélas, qui crient à l'antisémitisme (pas moins !) pour faire taire (parfois avec le concours de nervis de la LDJ) l'expression du soutien à la résistance palestinienne.

" Dʼun bout à lʼautre, il sʼagira de faire comme si le peuple palestinien, non seulement ne devait plus être, mais nʼavait jamais été. Les conquérants étaient de ceux qui avaient subi eux-mêmes le plus grand génocide de lʼhistoire. De ce génocide, les sionistes avaient fait un mal absolu. Mais transformer le plus grand génocide de lʼhistoire en mal absolu, cʼest une vision religieuse et mystique, ce nʼest pas une vision historique. Elle nʼarrête pas le mal ; au contraire, elle le propage, elle le fait retomber sur dʼautres innocents, elle exige une réparation qui fait subir à ces autres une partie de ce que les juifs ont subi (lʼexpulsion, la mise en ghetto, la disparition comme peuple). Avec des moyens plus« froids » que le génocide, on veut aboutir au même résultat.

Les USA et lʼEurope devaient réparation aux juifs. Et cette réparation, ils la firent payer par un peuple dont le moins quʼon puisse dire est quʼil nʼy était pour rien, singulièrement innocent de tout holocauste et nʼen ayant même pas entendu parler. Cʼest là que le grotesque commence, aussi bien que la violence. Le sionisme, puis lʼEtat dʼIsraël exigeront que les Palestiniens les reconnaissent en droit. Mais lui, lʼEtat dʼIsraël, il ne cessera de nier le fait même dʼun peuple palestinien. On ne parlera jamais de Palestiniens, mais dʼArabes de Palestine, comme sʼils sʼétaient trouvés là par hasard ou par erreur. Et plus tard, on fera comme si les Palestiniens expulsés venaient du dehors, on ne parlera pas de la première guerre de résistance quʼils ont menée tout seuls. On en fera les descendants dʼHitler, puisquʼils ne reconnaissaient pas le droit dʼIsraël. Mais Israël se réserve le droit de nier leur existence de fait. Cʼest là que commence une fiction qui devait sʼétendre de plus en plus, et peser sur tous ceux qui défendaient la cause palestinienne. Cette fiction, ce pari dʼIsraël, cʼétait de faire passer pour antisémites tous ceux qui contesteraient les conditions de fait et les actions de lʼEtat sioniste. Cette opération trouve sa source dans la froide politique dʼIsraël à lʼégard des Palestiniens.

Israël nʼa jamais caché son but, dès le début : faire le vide dans le territoire palestinien. Et bien mieux, faire comme si le territoire palestinien était vide, destiné depuis toujours aux sionistes. Il sʼagissait bien de colonisation, mais pas au sens européen du XIX° siècle : on nʼexploiterait pas les habitants du pays, on les ferait partir. Ceux qui resteraient, on nʼen ferait pas une main-dʼoeuvre dépendant du territoire, mais plutôt une main-dʼoeuvre volante et détachée, comme si cʼétaient des immigrés mis en ghetto. Dès le début, cʼest lʼachat des terres sous la condition quʼelles soient vides dʼoccupants, ou vidables. Cʼest un génocide, mais où lʼextermination physique reste subordonnée à lʼévacuation géographique : nʼétant que des Arabes en général, les Palestiniens survivants doivent aller se fondre avec les autres Arabes. Lʼextermination physique, quʼelle soit ou non confiée à des mercenaires, est parfaitement présente. Mais ce nʼest pas un génocide, dit-on, puisquʼelle nʼest pas le « but final » : en effet, cʼest un moyen parmi dʼautres. La complicité des Etats-Unis avec Israël ne vient pas seulement de la puissance dʼun lobby sioniste. Elias Sanbar a bien montré comment les Etats-Unis retrouvaient dans Israël un aspect de leur histoire : lʼextermination des Indiens, qui, là aussi, ne fut quʼen partie directement physique. il sʼagissait de faire le vide, et comme sʼil nʼy avait jamais eu dʼIndiens, sauf dans des ghettos qui en feraient autant dʼimmigrés du dedans. A beaucoup dʼégards, les Palestiniens sont les nouveaux Indiens, les Indiens dʼIsraël. Lʼanalyse marxiste indique les deux mouvements complémentaires du capitalisme : sʼimposer constamment des limites, à lʼintérieur desquelles il aménage et exploite son propre système ; repousser toujours plus loin ces limites, les dépasser pour recommencer en plus grand ou en plus intense sa propre fondation. Repousser les limites, cʼétait lʼacte du capitalisme américain, du rêve américain, repris par Israël et le rêve du Grand Israël sur territoire arabe, sur le dos des Arabes."

URL source: http://blogs.mediapart.fr/blog/yvan-najiels/030814/gilles-deleuze-sur-israel- et-la-palestine-dans-deux-regimes-de-fous-1983
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Gaza : que fait l'Europe ?


Rien à ajouter...
L'Eu­rope prend ses va­cances. Est-ce ceci qui ex­plique le si­lence ter­ri­fiant qui ré­pond à la ter­reur qui frappe les ha­bi­tants de Gaza et que l'ar­rêt mo­men­tané des hos­ti­li­tés n'ef­fa­cera pas ?
Rien ne peut jus­ti­fier que 100 vic­times tombent en quelques heures, et près de deux mil­liers en quelques se­maines, que des hommes, des femmes, des en­fants, pris au piège de ce ghetto, fuient dans toutes les di­rec­tions comme des ani­maux apeu­rés sans trou­ver d'is­sues puisque tout est contrôlé, fermé, as­siégé, bom­bardé. Plus de cen­trale élec­trique, plus d'eau, bien­tôt plus de soins mé­di­caux, plus de nour­ri­ture. Si l'ar­mée is­raé­lienne ca­resse le rêve meur­trier et illu­soire de « cas­ser » le Hamas, elle se moque ab­so­lu­ment des ra­vages cau­sés à une po­pu­la­tion qu'elle a cessé de consi­dé­rer comme ses fu­turs voi­sins, et peut-être même comme ap­par­te­nant à la même hu­ma­nité que les Is­raé­liens.
Le si­lence eu­ro­péen prend d'au­tant plus de re­lief que l'on a sous nos yeux un élé­ment de com­pa­rai­son : les me­sures prises contre la Rus­sie. Me­sures très pru­dentes mais me­sures quand même alors que l'Union eu­ro­péenne et l'al­lié amé­ri­cain se contentent de mots quand il s'agit de la Pa­les­tine. Re­gret­ter la vio­lence mais ne ja­mais contraindre les au­to­ri­tés is­raé­liennes, telle semble être la po­li­tique en vi­gueur.
Il est temps de me­su­rer les di­men­sions du crime qui est en train de se com­mettre sous nos yeux. Il est temps de com­prendre que l'Union eu­ro­péenne ne s'exo­né­rera pas de ses res­pon­sa­bi­li­tés en payant, une nou­velle fois, la re­cons­truc­tion d'in­fra­struc­tures aus­si­tôt dé­truites. Notre ar­gent ne nous em­pê­chera pas d'être consi­dé­rés comme com­plice de ce que nous au­rions pu em­pê­cher, tout sim­ple­ment parce que notre ar­gent n'est pas l'éta­lon qui dé­ter­mine le prix des vies hu­maines per­dues à Gaza.
La France et le Royaume-Uni, membres de droit du Conseil de sé­cu­rité doivent, à dé­faut des Etats-Unis, sai­sir les Na­tions unies d'une ré­so­lu­tion contrai­gnante et, sous peine de sanc­tions, im­po­sant un ces­sez-le-feu, le re­trait des troupes is­raé­liennes de Gaza, l'en­voi d'une force d'in­ter­po­si­tion et de pro­tec­tion du peuple pa­les­ti­nien, et la fin du blo­cus aé­rien, ma­ri­time et ter­restre de ce ter­ri­toire. L'Union eu­ro­péenne doit sus­pendre l'ac­cord d'as­so­cia­tion qui la lie à Israël.
Que la Pa­les­tine soit, enfin, re­con­nue comme un membre à part en­tière de l'ONU et que le Conseil de sé­cu­rité dé­cide de sai­sir sans plus de dé­lais la Cour pé­nale in­ter­na­tio­nale pour que les au­teurs et res­pon­sables de tous les crimes de guerre com­mis aient à rendre compte de­vant la jus­tice.
Mi­chel Tu­biana, président du REMDH, et Karim La­hidji, président de la FIDH
Libération, 8 août 2014

dimanche 6 avril 2014

Pierre Rhabi et la décroissance.

 

Pierre Rhabi est un philosophe mais il n'est pas un doctrinaire. C'est un praticien. Depuis sa ferme de Monchamp, il incarne ce qu'il pense dans et sur un territoire rocailleux depuis bientôt cinquante ans. L'agroécologie qu'il préconise, il la met en action. Il est radicalement « non-capitaliste ». L'avidité et l'insatiabilité lui semblent des travers dont souffre l'humanité tout entière. « Toujours plus ne génère pas de la joie » dit-il.

La décroissance dont parle Rhabi n'a rien de subversif, c'est une lucidité. La planète est limitée et le « système duel » (repus/affamés) est une guerre économique qui ne peut déboucher que sur la guerre tout court. Ce qui est subversif, ce n'est pas l'intention des écoagriculteurs, c'est la réalité qui, peu à peu, lentement, irréversiblement, bouleverse les affirmations péremptoires des maîtres du pouvoir, un pouvoir qui ne mord plus sur le quotidien des peuples.

On a toujours présenté la révolution comme une contestation violente et comme un renversement des gouvernements par la force. Pierre Rhabi ne se situe pas parmi les tenants de cette révolution-là qui connaît soit l'échec de ses moyens, soit, pire, l'échec de ses objectifs quand celui qui renverse les tyrans devient un tyran. « La colère ne doit pas blesser les autres » affirme encore Pierre Rhabi. La prise de conscience de notre inconscience est seule à même de retourner la logique qui nous détruit.

La conquête est illusoire. Se penser humain n'est pas s'investir dans un territoire à dominer, à occuper et à défendre. La concentration des avoirs entre les mains de 1300 milliardaires engendre le malheur. Comme depuis des siècles et des siècles, l'injustice produit des conflits meurtriers, de plus en plus meurtriers. C'est pourquoi l'écologie mise en œuvre tout de suite, sans attendre l'autorisation de quiconque est la seule voie de changement ouverte.

Au primat absolu de l'économie, Pierre Rhabi oppose le réalisme de la bio-économie et se réfère à Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994) qui n'a cessé d'annoncer que la croissance indéfinie et sans contenu ne conduisait qu'à des excès temporaires, ravageurs à échelle historique. Cette évidence que de nombreux penseurs ont décrite dans de multiples livres est rejetée par la plupart des politiques comme un rejet du progrès humain.

Les techniques n'ont pas d'autonomie de développement. Elles sont voulues et déployées par des cerveaux humains. Les technologies mises au service du vivre ensemble sur une même terre peuvent s'avérer positives ou pas. Pierre Rhabi propose « une posture », un art de vivre, une vigilance éthique (« on peut faire manger bio et exploiter son prochain » dit-il). Son approche du monde sans compétitivité mais avec créativité est sans agressivité mais exige une coopération permanente à laquelle nous ne sommes pas éduqués.

C'est une manière de révolution culturelle non violente à laquelle nous sommes invités par tous les « colibris » du monde, à l'instar de ces oiseaux si nombreux, si petits, si actifs, si présents et si efficaces. Plus encore que la lutte des classes qui oppose victimes et exploiteurs, le recours immédiat à des moyens adaptés aux fins auxquelles aspirent les humains peut inverser la logique mortelle à laquelle nous souscrivons à regret mais par résignation.



Pierre Rhabi est un utopiste concret.

jeudi 21 novembre 2013

Poissons contaminés par la radioactivité de Fukushima


Pour qui lit l'allemand, telle est la référence du premier article ayant révélé cette contamination :

 


nuclear_fish
Louise Bergé, le 17 novembre 2013

Fukushima a beau se situer au Japon, à l’autre bout du monde, les conséquences de cet incident nucléaire survenu en 2011 se répercutent près de chez vous. Des experts viennent de retrouver des poissons radioactifs vendus dans les étalages des supermarchés suisses. Et la France alors ?

Cette découverte a été faite grâce à une enquête de la station suisse Radio 105. Des employés ont sélectionné deux spécimens de thon dans un supermarché suisse puis les ont faits analyser par des experts du Laboratoire du canton de Bâle. Les scientifiques ont découvert des traces d’un isotope radioactif, le césium 137. Une substance qui est le résultat de la fission nucléaire d’atomes d’uranium qui a lieu dans les centrales.

Ce qui fait le lien avec la centrale de Fukushima au Japon est que cet isotope possède une signature propre qui peut être tracée dans le monde. Les experts considèrent ainsi qu’il n’y a quasiment aucun doute pour que les poissons aient été contaminés par l’eau radioactive déversée dans l’océan Pacifique depuis la catastrophe du 11 mars 2011. Et ce malgré le fait que ces poissons aient été pêchés au large desPhilippines.
Pour Markus Zehringer, directeur du laboratoire, c’est la seule explication possible. Pourtant, il précise que les isotopes présents dans les thons analysés ne présenteraient pas de danger immédiat pour l’homme : « Avec 0,4 becquerels par kilogramme de césium 137, les valeurs sont encore en deçà de la limite de 1.250 becquerels par kilogramme. » Rien ne dit en revanche combien de poissons ont été contaminés, et dans quelles proportions, par ces isotopes radioactifs. En l’état, les chercheurs ne peuvent pas non plus établir le nombre de poissonneries et de supermarchés concernés.

La centrale de Fukushima continue encore de déverser des substances radioactives dans l’océan, environ 300 tonnes d’eau contaminée chaque jour. Certains estiment que la contamination des océans durera environ 40 ans, dans le meilleur des cas.

Information recueillie grâce à :


Consulter :
 

dimanche 17 novembre 2013

Wildpoldsried, de l'énergie à revendre

Une émission de ce jour : dimanche 17 novembre 2013.

Aller voir et podcaster :
http://www.franceinter.fr/emission-interception-wildpoldsried-de-lenergie-a-revendre

Les vaches et les éoliennes de Wildpoldsried © pascale pascariello - 2013 

C’est un village minuscule posé au creux des collines de l’Allgaü, en Bavière.

Wildpoldsried compte 2 600 habitants, regroupés autour de l’église catholique dont les cloches ponctuent les heures, et de son centre communal, ultramoderne : c’est là que défilent tout au long de l’année des milliers de visiteurs, d’Allemagne, mais aussi du monde entier, venus voir de plus près à quoi ressemble le « modèle Wildpoldsried » : depuis des années, cette commune rurale s’enorgueillit de produire plus d’énergie qu’elle n’en consomme. 

Une douzaine d’éoliennes, des panneaux solaires partout, sur les habitations et sur le toit des exploitations agricoles, sans oublier l’utilisation du biogaz issu des déjections bovines. Pour arriver à ses fins, la commune a consulté, puis mobilisé la population : les éoliennes par exemple ont été financées par une partie des habitants eux-mêmes. 

Outre les visiteurs, la commune collectionne les prix dans le domaine de l’environnement. Cette notoriété a drainé vers ce coin de Bavière une centaine de groupes de visiteurs l’an passé. Ces derniers jours, on pouvait croiser dans les rues et les sentiers du village des délégations du  Japon et de Corée. 

Mais pour Wildpoldsried, l’environnement n’est pas seulement un engagement : c’est une source de revenus : la revente d’électricité au réseau national procure des compléments financiers aux particuliers comme au budget communal. Et l’engagement concerne tout le monde, y compris les enfants, très tôt sensibilisés à la protection de l’environnement.


samedi 26 octobre 2013

Choisir entre nucléaire et démocratie


Peter Bradford 

http://groupes.sortirdunucleaire.org/Nucleaire-la-renaissance-a-l?origine_sujet=LI201310

Le huitième Rapport sur l’état de l’industrie nucléaire dans le monde (World Nuclear Industry Status Report ou WNISR) est paru en juillet dernier. Au fil des années, cette publication élaborée par des experts indépendants a acquis une vaste audience internationale. Ses chiffres et analyses sont désormais repris par de nombreux médias dans le monde.

Le rapport s’ouvre sur une préface de Peter Bradford, un ancien commissaire de la Nuclear Regulatory Commission (NRC), l’autorité de sûreté nucléaire des États-Unis. Son constat est sévère. « L’énergie nucléaire exige la soumission, pas la transparence », écrit-il en introduction. « Pour différentes raisons, dans de nombreux pays, l’industrie nucléaire ne peut pas dire la vérité sur ses avancées, ses perspectives ou ses périls. […] L’importance cruciale du World Nuclear Industry Status Report réside dans l’étonnante persistance de cette attirance mondiale pour les promesses trompeuses du nucléaire. »

On ne saurait trop recommander à celles et ceux qui comprennent l’anglais de se reporter au rapport intégral, qui condense, en quelque 140 pages, une mine d’analyse et de chiffres sur la situation de l’industrie nucléaire dans le monde et les différents pays, les aspects économiques et financiers de cette industrie, un bilan provisoire sur Fukushima et un point sur l’évolution des renouvelables.

Le collectif avait déjà organisé une action en mars dernier au rond-point du Tricastin.
 Manifestation devant le Tricastin
Le nucléaire recule. Lentement. Le choix entre ce qu'il a rapporté et ce qu'il coûte désormais, tarde à se faire. Les risques pour les assurances sont en cours de mesure mais non publiés. Le vieillissement des centrales augmente les craintes. La fin du nucléaire est annoncée mais reste lointaine compte tenu de l'entêtement des États et des entreprises qui en dépendent encore, dont la France. Sans une inversion des opinions, à quoi travaille Sortir du nucléaire, il faudra attendre... le prochain accident majeur, de toute façon statistiquement inéluctable !

mercredi 25 septembre 2013

Mamère devient un écologiste sans parti.



Mamère s'en va. Enfin, un élu connu met sa pensée en harmonie avec ses actes. Deux articles l'annoncent : ils méritent une lecture attentive.

"Pascal Durand n'était pas un chef, c'était un fusible"

Nouvel observateur le 23-09-2013
Annoncé sur la sellette depuis déjà plusieurs jours, le sort de Pascal Durand à la tête d'Europe Ecologie-les Verts semble scellé. Ce dimanche, le patron des écologistes aurait indiqué à plusieurs membres d’EELV, lors d’une réunion interne, qu'il ne briguerait pas un nouveau mandat lors du prochain congrès du parti en novembre à Caen. Le député écologiste de Gironde, Noël Mamère, réagit. 

Pascal Durand semble renoncer à briguer un nouveau mandat de secrétaire national d'Europe Ecologie-les Verts. Paie-t-il son ultimatum lancé au gouvernement ?
- Cela me paraît assez évident. L’appareil du parti – que l’on appelle communément à l’intérieur du mouvement "la Firme" - a décidé que Pascal Durand n’était plus l’homme de la situation, après l’y avoir pourtant installé en 2012. Ceux qui décident en sous-main lui ont offert une porte de sortie, puisqu’il y a de fortes chances qu’il soit la tête de liste écologiste à Paris lors des prochaines élections européennes de 2014. En réalité, son départ n'est pas une surprise.

Faut-il y voir la main invisible de Jean-Marc Ayrault ?
- Je suis incapable de le dire. Cependant, je constate qu’il y a une certaine contradiction des dirigeants dans cette décision de ne pas renouveler leur confiance à Pascal Durand. Certains nous expliquent que s’il n’était pas monté au créneau avec son ultimatum, on n’aurait pas obtenu certaines avancées à l’issue de la seconde conférence environnementale. Pourtant, il en paie visiblement les frais.

Quel bilan tirez-vous du passage de Pascal Durand, en poste depuis juin 2012 à la tête d’EELV ?
- Son mandat a été très court. Il aura été un secrétaire national éphémère. De toute façon, il n’y a que les naïfs et les imbéciles pour ne pas comprendre que c’est Cécile Duflot qui continue d’être la patronne des Verts. Elle et ses comparses - des secrétaires nationaux par procuration - n'ont cessé de diriger le parti en sous-main.

Les écologistes n’ont-ils pas un problème culturel à se soumettre à l’autorité d’un chef ?
- Non. Il y a toujours eu des chefs au sein du parti. Ceux qui décident ne sont pas ceux que l’on croit. Pascal Durand n’était pas un chef, c’était un fusible, c’était un instrument au service d’autres personnes. Rien d’autre.

Vous avez récemment menacé de quitter Europe Ecologie–les Verts. Au lendemain de la seconde conférence environnementale, dont les avancées ont été saluées par vos collègues écologistes, où êtes-vous de votre réflexion ?
- On est face à une vaste opération d’enfumage et de trompe l’œil. On nous fait croire que l’on entre dans la transition énergétique, alors que le gouvernement maintient des niches fiscales nuisibles à l’environnement. Entre les transports, l’agriculture, la pêche et l’automobile, ces niches représentent autour de 6 milliards d’euros. C'est-à-dire, un peu plus que ce que François Hollande prétend que rapportera la future contribution climat énergie [4 milliards d'euros sont escomptés, NDLR].
C’est également un renoncement, un changement de politique qui ne dit pas son nom sur la question du nucléaire. Dans la mesure où l’on sait qu’il sera très difficile de fermer la centrale de Fessenheim en 2016, l’engagement de réduire de 75 à 50 % la part du nucléaire dans la production électrique française, d'ici 2025, risque d’être effacé par un engagement sur la non-augmentation de la production nucléaire.

A vous entendre critiquer aussi sévèrement l'action du gouvernement, il semblerait que vos jours au sein de la majorité sont comptés…
- Il y a plusieurs étapes. La première consiste à ne pas voter le budget 2014 à l’Assemblée nationale – puisque le gouvernement nous a roulés dans la farine. Dans la mesure où je ne voterai pas le texte, je n’appartiendrai donc plus à la majorité actuelle. Cependant, ce n'est pas pour autant que j'entre dans l'opposition : je resterai au sein du groupe écologiste à l’Assemblée - à moins que l’on m’en vire, ce qui m’étonnerait fort. Quand à ma présence au sein d’Europe Ecologie–les Verts, je prendrai une décision à l’issue du congrès de novembre à Caen. Si le parti continue de jouer les supplétifs du gouvernement, je rendrai ma carte. Aujourd’hui, plus les écologistes reçoivent des coups du gouvernement sur la tête, plus ils remercient et s’en réjouissent !

Propos recueillis par Guillaume Stoll, lundi 23 septembre - Le Nouvel Observateur



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Mamère : "J'ai décidé de quitter EELV car le parti est prisonnier de ses clans"

Le Monde.fr |

Il le dit lui-même : "C'est une page qui se tourne." Quinze ans après être entré chez Les Verts, le député de Gironde, Noël Mamère, a décidé de rendre sa carte. Les conditions dans lesquelles Pascal Durand, secrétaire national d'Europe Ecologie-Les Verts, s'apprête à quitter la tête du parti auront été la goutte d'eau pour celui qui a réuni 5,25 % des voix à la présidentielle de 2002.

Pourquoi avez-vous décidé de quitter Europe Ecologie-Les Verts ?
J'ai décidé de quitter EELV parce que je ne reconnais pas le parti que j'ai représenté à la présidentielle en 2002. Notre parti ne produit plus rien : il est prisonnier de ses calculs et de ses clans. Nous sommes devenus un syndicat d'élus. J'ai l'impression d'un sur-place qui nuit au rôle que nous pouvons jouer dans la société. Cela ne m'empêchera pas de conduire une liste aux municipales à Bègles, je n'ai pas besoin de l'étiquette. C'est une page qui se tourne. Je pars sans regret, sans émotion particulière. C'est le résultat d'un constat et d'une analyse.

Comment interprétez-vous la décision de Pascal Durand de ne pas se représenter à la tête d'EELV ?
Pascal Durand est une variable d'ajustement. On le nomme en 2012 parce qu'il est compatible entre Europe Ecologie et Les Verts. La preuve est faite aujourd'hui que la greffe n'a pas pris. La manière dont il a été traité est humiliante. Ça me choque et je n'aime pas ces méthodes. Pascal n'était qu'un patron par procuration.
Les vrais patrons sont ceux qu'on appelle "la firme" : Cécile Duflot et ses amis. Même si Cécile Duflot est une bonne ministre, elle n'a pas lâché la direction des Verts. Mais ces derniers ne se sont pas créés pour être soumis au bon vouloir d'un clan. C'est le contraire de ce que défendent les écologistes.

Vous souhaitez rester dans le groupe écologiste à l'Assemblée nationale. N'est-ce pas contradictoire ?
Pas du tout. Dans le groupe, il n'y a pas que des gens inscrits à EELV, comme Paul Molac qui est à Régions et peuples solidaires. A moins qu'on ne me le demande, je ne vois pas pourquoi je quitterais le groupe.

Vous aviez indiqué que si vous étiez réélu à Bègles, vous démissionneriez de votre mandat de député. C'est toujours d'actualité ?
Si je suis réélu à la mairie de Bègles, mon intention est de me mettre en accord avec ce que j'ai dit. C'est la première fois que je vois l'Assemblée nationale voter une loi qui s'appliquera trois ans plus tard. La loi sur la limitation du cumul des mandats est d'ailleurs inaboutie puisqu'aujourd'hui un maire peut beaucoup plus cumuler qu'un député-maire. Fin 2014, je ne serai plus cumulard : je me sens plus utile dans ma ville de Bègles qu'à l'Assemblée.

Vous avez annoncé que vous ne voterez pas le budget pour 2014. Cela veut dire que vous allez voter contre ou vous abstenir ?
Je voterai contre parce que je considère que le compte n'y est pas, notamment sur la transition énergétique. La conférence environnementale n'était qu'un trompe-l'œil. Le gouvernement propose une contribution climat-énergie qui réunira péniblement la somme de 4 milliards d'euros en 2016. Comment voulez-vous que les entreprises aient une perspective de mise en place de modification de leur mode de production si vous ne leur proposez pas un plan de route jusqu'au moins 2020 ?
Je ne crois pas non plus à la TVA à 5 % uniquement cantonnée à la rénovation énergétique des bâtiments alors qu'il aurait fallu qu'elle s'applique à l'ensemble du bâtiment. Aucune des niches fiscales nuisibles à l'environnement et à la santé concernant les transports, l'agriculture, le diesel, les agrocarburants ou les pesticides – pourtant d'un montant de 6 milliards d'euros–, n'ont été remises en cause. Et nos amis disent que c'est formidable ?

Pour vous, les écologistes seraient plus utiles en dehors de la majorité qu'à l'intérieur ?
Aujourd'hui, je ne vois pas très bien leur utilité dans la majorité. Les écologistes passent leur temps à accepter ce qui ne correspond pas au projet qu'ils sont censés porter. Vous trouverez toujours des arguments pour dire qu'on fait avancer les choses mais c'est à la marge.
Nous avons aussi notre part de responsabilité. Nous nous sommes arc-boutés sur le diesel. Sans doute était-ce un piège : nous n'avons pas su expliquer de manière pédagogique que ce carburant représente 32 000 morts par an et que cela coûte beaucoup plus cher à la société de poursuivre dans cette direction que d'augmenter le prix du diesel d'un centime par an pendant dix ans pour rattraper celui de l'essence comme le propose la Fondation Hulot.

À quelques mois des municipales et des européennes, la séquence n'est pas des plus réussies pour EELV...
J'ai le sentiment d'assister à une immense régression. Nous avons abandonné notre fonction de lanceur d'idées pour devenir un parti comme les autres, obsédé par ses jeux d'appareil. Nous risquons d'en payer le prix aux prochaines élections. A se soumettre et à chercher des arrangements, il ne faudra pas s'étonner si notre électorat nous couvre de goudron et de plumes.
 
Raphaëlle Besse Desmoulieres 
Journaliste au Monde