dimanche 29 mars 2009

Pour en finir avec le développement durable.


Gro Harlem Bruntland, née en 1939, première femme premier ministre de la Norvège

Le concept de développement durable date d’avril 1987. Il fut utile en son temps. Il est né du rapport Brundtland ayant pour titre Notre Avenir à Tous. Gro Harlem Bruntland était la présidente de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU. Apparaissait, pour la première fois, dans ce Rapport officiel, l’idée selon laquelle le développement est durable si les générations futures héritent d’un environnem939,ent dont la qualité est au moins égale à celle qu’ont reçue les générations précédentes.


Le développement durable : est-ce repeindre en vert la planète?

Ignatio Ramonet rappelle, dans son livre récent, Le Krach parfait, que ce « développement durable » (« sustainable development » en anglais) supposait l’application de trois principes : le principe de précaution qui favorise une approche préventive plutôt que réparatrice, le principe de solidarité entre les générations actuelles et futures et entre toutes les populations du monde, enfin le principe de participation de l’ensemble des acteurs sociaux à toutes les décisions . Dans le temps nous avons donc le droit d’utiliser les ressources de la Terre mais le devoir d’en assurer la pérennité pour les générations à venir ; dans l’espace, chaque Terrien a le même droit aux ressources de la Terre .

Si le concept de développement durable est devenu familier, il n’est pas, pour autant, utilisé avec les mêmes intentions par tous ceux qui l’emploient ! Le Sommet mondial de Johannesburg pour le développement durable (26 août-4 septembre 2002), dans son communiqué final , – qui, à la lumière des événements mondiaux récents, prête à sourire – affirmait que « la protection de l’environnement, le développement social et le développement économique sont les trois piliers indissociables du développement durable ». La « semaine du développement durable », du 1er au 7 avril, en France, constitue un temps médiatique de promotion de la croissance verte, c’est-à-dire, d’une relance de l’activité économique portée par des exigences écologiques. Les bonnes paroles, généreuses et confuses, mais aussi les tentatives de masquer l’impasse où sont entrés les États et les entreprises, courant 2008, ne permettent guère d’éclairer le jugement des citoyens. Le développement durable est devenu un concept ambigu, auquel on fait dire le contraire de ce qu’il signifiait à l’origine !


Poisson d'Avril 2009?

La question décisive, celle dont dépend l’approche d’un développement humain auquel puissent aspirer tous les Terriens est celle-ci : la terre étant une île dont on ne peut s’évader, y a-t-il, ou non, saturation des possibilités d’expansion du domaine humain ? Ce qui se module de plusieurs façons : « Sur une planète dont les dimensions et les richesses sont finies, tout processus exponentiel ne peut qu’être éphémère », dit le généticien Albert Jacquard. « L’élan gigantesque de croissance qui pousse l’humanité va venir buter sur la limite que nous impose notre situation cosmique présente » dit le philosophe Bertrand Méheust. Le nouveau paradigme, c’est un puissant immanentisme ; nous allons devoir acceper « un monde qui n’est plus le ciel sur la terre, qui n’est pas non plus l’enfer sur terre, mais bien la terre sur la terre », dit Michel Maffesoli.

Il y a, dans l’idée même de développement, une confusion entre l’élévation et l’agrandissement, entre le qualitatif et le quantitatif. Le développement-croissance est le contraire du développement-épanouissement dès lors que, d’une part, tout ce qui vient en plus n’est pas équitablement réparti, et que, d’autre part, s’additionnent un incommensurable gâchis et une perte irrattrapable des richesses non renouvelables. Imagine-t-on un printemps qui ne profiterait qu’à une faible partie des plantes et qui ne succéderait pas à une période de repos des sols ? Nous avons considéré la Terre-mère comme une nourrice inépuisable et voici venu le temps de constater l’immensité de notre erreur. Le développement ne peut être continûment durable et moins encore la croissance durable ! Croître n’a qu’un temps et n’occupe pas tout le temps.

« Le mot développement est un mot toxique quel que soit l’adjectif dont on l’affuble » tranche Serge Latouche. Il s’agit à la fois d’un pléonasme et d’un oxymore, affirme-t-il. Un pléonasme, (la répétition de deux mots de même sens), parce qu’un développement qui ne serait pas durable cesserait aussitôt d’être un développement, mais deviendrait une stagnation ou une régression ; un oxymore, plus encore, (une juxtaposition de deux affirmations qui se contredisent), parce que, bien entendu, aucun développement n’est durable ou soutenable, à terme : le plus n’est pas en soi un mieux.

Le développement durable n’est donc qu’une mode, un « faire semblant », un habillage du refus de la décroissance (comprise comme un renoncement à un mode de vie non généralisable sur cette planète, « l’impératif de survie » comme l’écrivit André Gorz). Dans le vocabulaire politique, la récupération du concept « développement durable » par ceux qui croient possible de faire durer indéfiniment le développement, fait partie de la guerre des mots. Au lieu de dire, la bouche en cœur, nous ne pouvons refuser aux puissances émergentes de se développer comme l’Occident a pu le faire, il est temps de dire, nous ne pouvons plus nous développer sur le dos des populations qui nous fournissent leur force de travail bon marché. S’il faut abandonner le modèle productiviste de développement constant, ce n’est pas en mettant en cause la pollution de la Chine et de l’Inde qu’on y parviendra ; c’est en modifiant dans les meilleurs délais notre propre mode de vie.

Nous avons perdu plus d’un quart de siècle. Quand, en 1970, le Club de Rome lance son rapport inaugural Halte à la croissance , il indique déjà la voie à prendre. La croissance et le développement confondus conduisent, dans l’économie de marché, à un enrichissement considérable des riches sans amélioration suffisante des conditions de vie d’une population mondiale qui, elle, croît sans profiter des profits engrangés. On n’a pas voulu entendre. Pire, on a construit des théories pour ridiculiser ces thèses qui reviennent en boomerang mais dans un contexte affreusement dégradé. Nous parvenons Au temps des catastrophes , estime Isabelle Stengers. « Le caractère, dit-elle, intrinsèquement insoutenable de ce développement que certains annonçaient depuis des décennies, est devenu, depuis un savoir commun. L’idée qu’il appartiendrait à ce type de développement, qui a pour moteur la croissance, de réparer ce qu’il a lui-même contribué à créer n’est pas morte, mais elle a perdu toute évidence ». Être lucide, sans perdre espoir et énergie, n’oblige pas à « faire du catastrophisme ». Au bord du gouffre, il faut garder les yeux grand ouverts pour éviter la chute. Mais donner dans le culte du développement durable, c’est rejoindre les zélateurs de la croissance. On sait, à présent où cela nous mène.


Terre fragile entre nos mains...

http://www.wikilivres.info/wiki/Rapport_brundtland
Ignacio Ramonet, Le Krach parfait, Paris, éd. Galilée, 2009, p.106.
Voir l’article développement durable sur : http://wikipedia.org/wiki/Developpement_durable
http://www.un.org.french/events/wssd/coverage/summaries/envdev33.htm
Albert Jacquard, Mon utopie, Paris, Stock, Le Livre de Poche, 2006, p.141.
Bertrand Méheust, La politique de l’oxymore, Paris, La Découverte, 2009, p.37.
Michel Maffesoli, Apocalypse, Paris, CNRS éditions, 2009, p.35.
Serge Latouche, Petit traité de la décroissance sereine, Paris, éd. Mille et une Nuits, 2007, p.24.
André Gorz, Écologica, Paris, éditions Galilée, 2008, p.29.
Club de Rome, Halte à la croissance, Paris, éditions Fayard, 1972.
Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes, Paris, La Découverte, 2009, p.12.



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