dimanche 6 novembre 2011

Croissance et décroissance : suite et pas fin

Extrait d'une interview d'Edgar Morin (URL source: http://www.rue89.com/entretien/2011/01/23/edgar-morin-une-voie-pour-eviter-le-desastre-annonce-187032)

Vous parliez de la croissance qui reste le credo de la classe politique alors qu'elle est l'un des vecteurs de l'aggravation des crises. Etes-vous pour autant converti à la décroissance ?

Non ! Il faut combiner croissance et décroissance. Je suis contre cette pensée binaire qui n'arrive pas à sortir d'une contradiction. Il faut distinguer ce qui doit croître et ce qui doit décroître. Ce qui va croître, c'est évidemment l'économie verte, les énergies renouvelables, les métiers de solidarité, les services étonnamment sous-développés comme les services hospitaliers.

On voit très bien ce qui doit décroître, c'est ce gaspillage énergétique et polluant, cette course à la consommation effrénée, ces intoxications "consommationniste"s…

Tout un monde d'idées est là, ce qui manque c'est son entrée dans une force politique nouvelle.

***

Il faut en finir avec les confusions sur la croissance ou la décroissance. On ne peut vivre sans croître. On ne peut vivre sans décroître. La décroissance nécessaire est celle qui concerne les productions nuisibles ou inutiles (et elles sont nombreuses, d'autant mieux installées et admises qu'elles font partie de nos habitudes de consommation, de nos addictions en quelque sorte). La croissance nécessaire est celle de tout ce qui nous manque pour sortir de la société du toujours plus qui se confond avec le système capitaliste lui-même.

Deux exemples permettent de mieux comprendre ce passage à la nécessaire décroissance par l'intermédiaire de croissances nouvelles et surtout d'un tout autre type ! Sans un développement massif des énergies renouvelables, il n'y aura pas de décroissance avant que l'épuisement des ressources ne nous y conduise. L'énergie solaire, dont tout dépend, est très loin d'être captée, conservée, distribuée, de façon à se substituer aux énergies fossiles. Les travaux d'isolation qui peuvent amener l'habitat et nombre d'entreprises à se passer de chauffage ou de climatisation nous feraient entrer dans un nouvel environnement, dans un cycle d'activités-emplois de très grande ampleur, mais nous ne sommes pas encore réellement engagés dans cette révolution écologique, comme dirait Jean Malaurie.

Edgar Morin tout en refusant la pensée binaire (la décroissance, c'est le bien ; la croissance, c'est le mal) n'en est pas moins d'une extrême sévérité à l'égard du « gaspillage énergétique et polluant » ou des « intoxications consommationnistes ». Il est temps d'oser penser la destruction, la décélération, de ce qui produit notre malheur. Et, plus que les armements (devenus pourtant des monstruosités planétaires capables d'anéantir notre espèce), il est temps d'engager une guerre au gâchis car les pertes subies par nos alimentations du fait des mauvais stockages, de la surpêche ou de la surproduction d'animaux de boucherie font actuellement plus de victimes que les conflits les plus meurtriers.

Il faut donc organiser la décroissance de la surconsommation commerciale sans intérêt et lancer, (non pas re-lancer), des activités multiples qui ne sont pas que vertes mais tout simplement essentielles pour satisfaire les besoins humains fondamentaux.

Ce qui surprend c'est qu'il faille souligner de telles évidences ! Ce qui blesse c'est la résistance à la prise de décisions qui s'imposent. Au lieu d'embarquer la réflexion politique vers ces rivages, on nous impose la plus funeste des décroissances celle qui consiste installer une récession impitoyable. On voudrait compenser la saturation par la délocalisation pour re-produire ailleurs, et donc reproduire, essentiellement dans l'Asie surpeuplée, le système qui enrichit les riches sans souci des risques de paupérisation massive. Les discours filandreux et mensongers au sujet de la dette de tel ou tel pays, de l'Europe, des USA, aujourd'hui, n'ont qu'un objectif : retarder l'inéluctable, tenter de continuer à faire fonctionner la machine grippée, éviter de tirer les enseignements d'un échec historique de l'occident. Les systèmes productivistes, tant le soviétique que le libéraliste, ont épuisé leur dynamique.

Nous ne pouvons nous payer le luxe de conserver cette idéologie de la croissance qui diffuse, comme une obligation religieuse, comme une contrainte d'apparence rationnelle et qui s'oppose, de façon inattendue, à la croissance de la vie, celle qu'on voit s'épanouir dans un arbre ou les plantes de nos jardins.

Pour se faire comprendre, il suffit de constater que les activités les plus « rentables » peuvent être liées au drame et au crime : le commerce de la drogue, de la publicité et des armes constituent, sans doute, les sources de revenus les plus fécondes. Un accident automobile produit du travail. La maladie nourrit l'industrie pharmaceutique. Mieux se porte une population moins on a besoin de médecins et de médicaments. Quelle société fera passer la perte de certains voire de nombreux emplois comme preuve de la réussite économique et sociale ?

Plus d'activités indispensables aux sept milliards d'humains (engendrant plus de croissance) suppose moins de dépenses vaines et de productions dangereuses (donc plus de décroissance). Étonnante équation à l'application de laquelle les habitués de l'american way of life résisteront de toutes leurs forces ! Obtenir le mieux par le moins oblige à une révolution intellectuelle à quoi rien ne nous a préparés. Le passage par la sobriété que cela implique n'attire personne, d'autant que ceux qui ont sont convaincus mais vivent dans le confort, sont inquiets pour eux-mêmes. Il faudra, une fois encore, dans l'histoire humaine compter sur ceux qui n'ont rien à perdre, les pauvres, les modestes, les démunis, voire les misérables, pour que s'opère le changement de civilisation qui ne saurait se limiter au changement des idées dominantes.





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