lundi 12 juillet 2010

Écologie et retraites :"pour une écologie du troisième âge"

Découvrez ce texte printanier et dédions-le à notre Président de la République qui ne bat pas encore en retraite.


Le débat sur les retraites est curieux. Il s'agit des conditions de vie et du bien-être des futurs retraités, en 2030, en 2050, etc., c'est-à-dire les mêmes échéances que celles qui servent de repères à des projections et politiques du climat et d'autres ressources naturelles.

L'analyse actuelle du financement des retraites repose sur des hypothèses de croissance économique et de gains de productivité à l'infini (souvent 1,5 % par an en moyenne). On oublie de se demander si c'est compatible avec les exigences d'une société soutenable, si le bien vivre des futurs retraités ne risque pas d'être compromis par ces stratégies de croissance, et si la croissance quantitative ne va pas s'effondrer quoi que l'on fasse dans les pays riches, du fait de l'épuisement d'une nature surexploitée et de la fin du pétrole et d'autres ressources indispensables à des gains de productivité globaux.

Il serait temps de s'interroger sur le paradoxe qui consiste à défendre l'environnement des générations futures à propos du climat et à l'oublier lorsqu'il est question de leurs retraites à long terme. Cela conduit-il à un pessimisme aggravé ? Si les hypothèses du Conseil d'orientation des retraites (COR) en matière de croissance doivent être revues à la baisse, si la croissance quantitative devient nulle, n'est-ce pas pire encore que les scénarios actuels ? En aucun cas, à condition toutefois de sortir des raisonnements économiques standard. Il existe deux pistes crédibles à combiner : la réorientation de la production vers des "valeurs ajoutées durables", sans croissance globale des quantités, et le partage des richesses.

La première piste revient en fait à rappeler que la richesse nationale qui sert de base au financement public n'est pas dans les quantités mais dans la valeur ajoutée. Les scénarios productivistes oublient la possibilité de produire plus de valeur ajoutée, sans croissance quantitative, par une montée en durabilité (qui échappe largement aux mesures de la croissance en volumes). A quantités produites identiques, il y a nettement plus de valeur ajoutée monétaire (et d'emplois), donc de richesse économique, donc de bases de financement de la protection sociale, dans les productions les moins polluantes et les plus douces avec la nature. La valeur ajoutée durable devrait devenir la grande ressource économique du futur, à l'opposé de la mythique croissance verte.

La deuxième piste est le partage des richesses. Pas seulement les richesses marchandes. Le pouvoir d'achat des retraites, c'est très important, surtout pour les petites et moyennes retraites dont la régression est programmée. Mais il faut aussi développer des services hors marché (santé, culture et sport, transports collectifs, soins pour tous...) et l'accès à des richesses non économiques (liens sociaux, participation citoyenne, richesses naturelles...) pour fonder le bien vivre des retraités.

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Pour financer les retraites, les dizaines de milliards d'euros à trouver annuellement existent déjà, sans croissance. Il faut les sortir des "niches" fiscales et sociales les plus contestables et prendre l'argent là où il est : les hauts revenus (qui ont bénéficié de dix ans de cadeaux fiscaux énormes) y compris les retraites indécentes, l'excès de profits, la spéculation, la fraude fiscale et les niches et paradis fiscaux. En tout, cela fait 80 à 100 milliards d'euros par an de manque à gagner pour les finances publiques. Qui plus est, ces deux pistes se confortent mutuellement. La montée en durabilité de la valeur ajoutée élargit la base de financement, et la réduction des inégalités est favorable à l'adoption de politiques écologiques socialement acceptables.

Avec de telles orientations, le droit à une retraite de bonne qualité à 60 ans peut être assuré durablement. Ceux qui défendent cet acquis ont d'excellents arguments. La retraite à 60 ans reste un outil majeur à la fois de partage du temps de travail (quand il y a quatre à cinq millions de personnes au chômage ou en sous-emploi et quand l'âge moyen de cessation d'activité est de 59 ans) et de relativisation de l'emprise excessive du travail et de l'économie sur la vie et sur la nature. Ce ne sont pas les activités bénévoles d'utilité sociale et écologique qui manquent pour des "seniors associés", qui ont d'autres projets de vie que la chaise longue.


Jean Gadrey, professeur émérite, université Lille-I
Le Monde - 24 avril 2010

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