Le
sommet de la Terrre de Rio de Janeiro a accouché d’une déclaration
finale riche d’enseignements. Beaucoup a déjà été écrit sur le contenu
de cette déclaration, véritablement affligeant, tant il comporte des
régressions sur les droits et un consentement à l’ordre du monde qui est
à l’origine des crises que nous vivons. C’est un texte hors sol, hors
contexte, hors crises.
Rien sur la globalisation économique
et financière, rien sur les limites écologiques et sur l’épuisement des
ressources, rien sur les plusieurs milliards de personnes condamnées à
la survie, et qui devraient trouver leur salut dans l’accès aux marchés.
Aucune pensée ne traverse le texte, aucun souffle, une récitation des
psaumes de la croissance et du marché.
Ce texte signe une crise profonde et
l’agonie du multilatéralisme. Il n’a de cesse de répéter que les
solutions relèvent de politiques nationales, actant ainsi le refus
conjoint de nombreux États de tout engagement multilatéral. Jusqu’à la
caricature. L’eau cesse ainsi de relever d’accords internationaux, elle
est renvoyée à la souveraineté nationale, et donc à la loi du plus fort,
à ceux qui peuvent construire les plus grands barrages, capter les
sources sur leurs territoires. Nous ne serons pas surpris de trouver là
l’alliance des Etats-Unis, du Canada, du Brésil, de la Chine, de la
Turquie, pour ne citer que les plus importants. Quant au droit universel
à l’accès à l’eau, acté par l’assemblée générale des Nations unies, il
fait déjà l’effet d’une relique barbare dont le texte final s’est
débarrassé. C’est la même chose pour l’énergie, qui devait pourtant être
un temps fort de ce sommet.
Notons bien que ce retour affirmé aux
politiques nationales ne signifie en rien une relocalisation ou une «
déglobalisation ». La place donnée aux transnationales regroupées dans
le Global Compact, cité explicitement dans le texte comme partenaire
essentiel, l’ode au libre-échange, la nécessaire inclusion dans les
marchés mondiaux pour les millions de paysans qui meurent de faim, ne
laisse aucune illusion : la souveraineté nationale exprime seulement la
latitude laissée aux États de se soumettre aux exigences des marchés,
sans limites.
Et l’Union européenne dans tout cela ?
Les temps ont bien changé depuis Rio 1992 et ses suites, notamment le
protocole de Kyoto. La globalisation a fini d’exporter à l’échelle du
monde le modèle économique et social né en Europe. Et au grand jeu de la
concurrence qu’elle continue à promouvoir, l’Europe n’est plus au
centre du monde. Ce n’est pas un accident dû à la crise qu’elle
traverse, c’est désormais une condition structurelle et un des éléments
de sa crise. Ici à Rio, l’Union européenne, contre le G77+Chine alliés à
l’Amérique du Nord, a défendu une position multilatérale. Elle a été si
humiliée qu’elle en est arrivée, fait exceptionnel pour l’UE toujours à
la recherche de consensus, à menacer en assemblée plénière de ne pas
signer le texte. Elle a été d’autant plus affaiblie qu’elle n’a pu
accompagner ses propositions d’un moindre euro mis sur la table, ce que
réclamait le G77.
Mais nous ne pouvons nous arrêter là
sans examiner le contenu de ce multilatéralisme. L’Union européenne a
été un des promoteurs essentiels de l’économie verte, entendue comme une
extension de la valorisation économique des services écosystémiques et
de leur financiarisation. Elle est d’ailleurs le continent pilote pour
les marchés du carbone. À ce titre, elle souhaitait une réglementation
multilatérale pour la mise en place de cadres favorables à cette
économie verte. Elle s’est heurtée aux États qui refusent l’économie
verte car ils entendent pro
téger leurs entreprises d’une éventuelle
augmen
tation des coûts, aux pays émergents qui veulent poursuivre le
modèle productiviste sans limitation extérieure, aux pays les plus
pauvres qui exigeaient des financements en retour.
Ce nouveau modèle redonnerait toute
sa place à l’Europe. Et ceci d’autant plus que le succès des pays qui
se sont alliés pour polluer tranquillement à l’intérieur de leurs
frontières nationales est bien provisoire ! Les catastrophes qui
s’annoncent laisseront peu de temps de répit. Et l’Union européenne
pourrait alors avoir le soutien de la « société civile », non pas celle
des lobbies industriels et financiers qui ont monopolisé cette
négociation, mais celle des mouvements sociaux et des ONG.