vendredi 29 juillet 2011

L'acquis ne préjuge pas du risque !

De quoi faut-il avoir peur ? À quoi, du reste, servirait-il d'avoir peur ! Le monde n'est pas indestructible et nous sommes tous mortels. Ce qui est en question, c'est ceci : est-ce que les limites du monde ont été sous estimées (avec, comme conséquence, une lente dégradation des possibilités de prolonger notre quête d'un mieux-vivre qui avait commencé de se réaliser) ou est-ce que les limites du monde sont désormais atteintes (avec comme conséquence, l'obligation, urgente, de choisir des modes de vie sobres afin de restaurer la possibilité même de ce mieux vivre). Le débat est lancé. Il nous faudra le conclure sans trop tarder !


État de la planète : bienvenue au sommet des courbes


Donner une description objective de l'état de santé du monde - c'est-à-dire de l'ensemble de la biosphère et des sociétés humaines - est un exercice assez compliqué. Suffisamment pour produire des diagnostics diamétralement opposés. D'un côté, les injonctions à changer de modèle pour cause de " crise écologique " n'ont jamais été aussi impérieuses. De l'autre, de nombreux ouvrages paraissent pour contester cette vision " alarmiste ", " catastrophiste ", voire " millénariste " du monde.



L'apocalypse n'est pas pour demain (Denoël) affirme ainsi, sans trop de risque de se tromper, le politologue Bruno Tertrais, tandis que d'éminents géographes nous assurent que Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête (JC Lattès, 2010)... D'autres livres insistent sur les succès du modèle de développement adopté en Occident depuis la fin de la seconde guerre mondiale : augmentation - inégale, mais réelle - de la richesse et de l'espérance de vie, recul global de l'illettrisme, etc.

Voilà la démonstration empirique que le système technique sur lequel est assise la civilisation est globalement bénéfique : ses nuisances n'ont pas occulté les avantages matériels qu'il a offerts. Cinquante ans d'utilisation de produits phytosanitaires n'ont pas eu d'effets suffisamment massifs sur la population pour en réduire l'espérance de vie. Leur usage a permis d'augmenter les rendements agricoles, disent les uns. Mais, objectent les autres, ils menacent désormais les insectes pollinisateurs, principaux agents de la reproduction végétale.

D'un côté, donc, les " catastrophistes ", qui arguent que tout va très mal. De l'autre, ceux qui se réclament d'un certain rationalisme en assurant, chiffres à l'appui, que tout n'est jamais allé aussi bien. Ces deux diagnostics sur l'état du monde dessinent une ligne de fracture qui traverse la société, au-delà de ses clivages habituels. Ces deux visions sont pourtant compatibles. Chacune décrit une part de réalité : tandis que les uns fondent leur optimisme sur les acquis du demi-siècle écoulé, les autres craignent, avec raison, celui qui vient.

Cette coexistence de points de vue est rendue possible par un état particulier du monde. Un état, jamais connu auparavant, où les effets adverses du système technique déployé par l'humanité commencent à en concurrencer les effets bénéfiques. Ce système technique - au sens que lui donne André Lebeau dans son remarquable essai Les Horizons terrestres (Gallimard) - a tenu ses promesses au cours des cinquante dernières années, mais ses dimensions sont désormais telles qu'il se heurte aux limites physiques du système-Terre.



Enième élucubration " catastrophiste " ? Cette considération n'est pas un jugement de valeur. Elle s'illustre par des faits simples. Par exemple, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les rendements du blé n'ont cessé d'augmenter sur l'ensemble de la métropole. Cette courbe ascendante, rien ne semblait pouvoir l'arrêter : intrants plus performants, constante amélioration génétique des variétés mises en culture, etc. Mais, depuis le milieu des années 1990, cette courbe plafonne. Les rendements du blé stagnent sur une bonne part de l'Europe.

Non par absence de progrès techniques : fin 2010, dans la revue Field Crops Research, des chercheurs de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) ont montré que ces progrès, réels, ont été en partie effacés par les effets du changement climatique. Le réchauffement, un sous-produit du système technique, commence à en occulter les bénéfices.

De même, les prises de pêche ont continûment augmenté lors du dernier demi-siècle mais le volume des captures d'espèces commerciales a atteint un sommet au milieu des années 1990 et, depuis, décline en dépit des flottes de pêches plus nombreuses. L'aquaculture compense pour l'heure cette décroissance forcée, mais elle repose en partie sur la pêche minotière, soit une exploitation encore plus effrénée des écosystèmes marins.

De manière croissante, les services rendus au système technique par la biosphère et l'atmosphère s'érodent sous l'effet du même système technique. Plus vaste, la lithosphère n'est pas épargnée. Selon l'Agence internationale de l'énergie, les champs pétroliers en exploitation ont atteint leur pic en 2006 et, depuis, déclinent. D'autres ressources fossiles - charbon, gaz et huiles non conventionnels - remplaceront pendant un long moment celles qui feront défaut. Mais leur extraction et leur combustion se feront au prix d'effets indésirables toujours plus grands.

Il y a d'autres exemples. Mais on comprend qu'arrivé au sommet des courbes, l'on puisse choisir de voir l'ascension accomplie ou le déclin qui se profile. A ce palier, on peut avoir l'illusion que l'avenir sera une projection du passé. D'autant que, dans les pays du Nord, les premières tensions entre le système technique et le système-Terre ne se manifestent que discrètement. Jusqu'à quand ?

Analyse
Stéphane Foucart - foucart@lemonde.fr



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