dimanche 16 janvier 2011

L'écologie est-elle à gauche ?

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Il est temps d'en finir avec les finasseries politiciennes : si l'écologie est substantiellement proche des idéaux traditionnels de la gauche (pas n'importe laquelle), elle n'est pas dans la gauche partisane telle qu'elle existe aujourd'hui.

Quand René Dumont disait que la gauche est à gauche de la gauche, il ne disait nullement que l'écologie est située dans le camp de l'extrême gauche. Quand Antoine Waechter tenta d'affirmer que les Verts n'étaient ni à gauche ni à droite, il voulait déplacer l'écologie politique vers le centre pour la libérer de l'emprise du PS, mais le centre n'est rien d'autre que la gauche de la droite ou la droite de la gauche, au choix. Ces deux positionnements contradictoires ont, pourtant, en commun, de refuser toute inféodation de l'écologie politique à l'union de la gauche ou à la gauche unie, ces rapprochements toujours sous la coupe du parti dominant.

Le débat sur la place de l'écologie politique dans l'éventail des partis, tels qu'ils figurent sur l'organigramme et l'hémicycle du Parlement, n'a plus aucun sens. C'est quand l'écologie politique est non seulement autonome, mais indépendante de la gauche traditionnelle, qu'elle peut être totalement de gauche.

Les idées de droite, et notamment l'adhésion à l'économie de marché, au capitalisme, au productivisme, à la croissance ont pénétré toutes les familles de pensées politiques et il y a longtemps que le socialisme, voire le communisme (et pas seulement en Chine !) ont accepté les contraintes du système économico-politique occidental. À cet égard, la droite française a remporté, en 2007, une victoire idéologique autant qu'électorale.

Les idées de gauche et notamment le partage, l'hospitalité, l'égalité, la maîtrise du temps de travail, la priorité absolue aux services publics, la lutte prioritaire contre la misère, la protection et l'élargissement des acquis du Conseil national de la résistance, se sont affadies, ont perdu leur charge radicale, et ont cessé d'orienter prioritairement la pensée et l'action des responsables des formations politiques dites de gauche.

Si l'écologie n'est pas "à gauche" parce qu'elle est hors de la gauche préexistante, elle peut-être, à elle seule, tout ce que fut la gauche avec ce correctif majeur : ce n'est pas en produisant plus qu'on satisfait davantage les besoins des hommes.

L'écologie politique tend à s'installer sur tout l'espace de la gauche mais elle n'est pas à gauche, dans la gauche, elle n'est pas une partie de la gauche, ou une alliée de la gauche. Elle n'est ni une composante ni un appendice de la gauche historique, laquelle, si elle cessait d'être, suite à ses trahisons successives, serait, sans doute, remplacée par l'écologie politique, l'écosophie, l'écopolitique, que sais-je...? Et là surgit une contradiction : nul ne peut être et lui-même et quelqu'un d'autre ; celui qui occupe, par la pensée, tout le champ où se trouvait la gauche, n'a pas à se rallier ou à s'allier à des partis d'une gauche mourante, pour trouver sa place.

"Faire de la politique autrement", vieux slogan des Verts n'était pas une formule vertueuse et la comprendre ainsi était, évidemment, voué à l'insuccès. C'était faire une autre politique en même temps qu'emprunter des moyens d'agir totalement nouveaux. Les écologistes n'y sont pas parvenus, et n'ont pu que se constituer en parti, dans le cadre institutionnel, comme d'autres organisations politiques, moyennant quoi, ils n'ont jamais pu "faire de la politique autrement".

La donne a changé, à partir du moment où il est apparu que la politique était de moins en moins nationale mais de plus en plus mondialisée. L'effet de l'action économique des hommes sur le climat et l'échec de la croissance pour la croissance conduisent vers d'autres chemins politiques que les repères de gauche et de droite ne suffisent plus à baliser. La remise en question du capitalisme (affaibli par la financiarisation) et la contestation de la démocratie (qui se transforme progressivement en oligarchie) ont motivé un nombre croissant de citoyens mieux informés, plus décidés, à s'occuper de ce qui les regarde sans s'en remettre constamment à des délégués issus des partis.

Le régime présidentiel, plus encore que le régime parlementaire bloquent cet investissement citoyen que l'écologie politique appelle. S'en remettre au peuple n'est pas le laisser à lui-même dans une démocratie directe évidemment impossible à gérer dans une société de plus en plus complexe. C'est changer de mode relationnel, sans doute avec l'aide des outils de communication technologiquement avancés qui, désormais, se multiplient au grand dam des dictatures et des oligarchies.

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Les deux candidatures écologistes possibles pour l'élection présidentielle prochaine portent bien, ensemble, toutes les ambiguïtés à lever. Jean-Vincent Placé somme Nicolas Hulot de dire s'il est de gauche ! Bien des Verts craignent qu'Éva Joly soit plus un juge intègre qu'une écologiste. Dominique Voynet affirme que "l'écologie est de gauche, ça a toujours été une évidence" et se tient visiblement prête à être ministre, en 2012 (c'est donc cela, pour elle, être "de gauche", en fait, de "de la gauche qui gouverne").

Nul personnage en vue ne dit, au sein, d'EELV, à ma connaissance, que l'élection présidentielle est contestable, en soi, d'un point de vue écologiste, qu'une démocratie digne de ce nom ne supporte pas la monocratie dans sa forme oligarchique. Comme l'écrit Hervé Kempf, en effet, "l'oligarchie, ça suffit" (l'oligarchie est la dictature camouflée d'un petit nombre de décideurs regroupés autour du leader qu'on a fait élire). La gauche vraiment nouvelle (celle qui se disait telle ne le fut jamais) n'a pas une dimension écologiste, elle est écologiste...

"Le capitalisme délaisse la démocratie" (dont il ne conserve que des apparences), alors qu' "il nous faut inventer une démocratie sans croissance" ! C'est le scénario écologiste dont parle encore Hervé Kempf, face au scénario oligarchique, qui refuse la logique de la situation, et au scénario de gauche croissanciste qui s'incline devant les élites économistes. Il y a bien incompatibilité entre l'écologie politique et la droite comme la gauche telles qu'elles sont.

Au second tour de l'élection présidentielle, le candidat écologiste, quel qu'il soit, devra se rallier au candidat socialiste qui maintiendra le nucléaire civil et militaire, le productivisme économique, la société de surveillance liberticide, la solidarité avec l'OTAN en Afghanistan ou ailleurs, les institutions de la Vème République qui offrent le pouvoir aux minorités habiles, le cumul des mandats (qui sera à peine corrigé), le bipartisme de fait, etc...

L'écologie, dans cette gauche là, continuera d'occuper des strapontins. Or ce n'est ni sa tâche ni son rôle ! Il lui faut, à tout coup, "convaincre les citoyens que la crise écologique détermine l'avenir proche". C'est impossible en faisant alliance avec ceux qui n'en croient rien ! Les sièges et les fonctions ne sont pas à rechercher. Quand on est à sa place et qu'on est incontournable, on est appelé et on ne se rallie à personne.

Je cesse de parler de gauche là où, me semble-t-il, il n'y en a plus trace. Je conserve les convictions abandonnées par la gauche, même si de gauche il n'est plus question qu'en mots. Je pense que l'écologie politique a pris le relai de la gauche historique. Je me situe hors de toutes les pratiques politiciennes qui nuisent à la démocratie même quand elles sont celles d'écologistes. je suis convaincu que des temps nouveaux apparaissent et qu'il faut d'ores et déjà faire le pari de les vivre et d'en faciliter la venue. La décroissance et l'écopolitique ne peuvent être confiées à des sectaires aussi dangereux, voire plus, que les complaisants dont regorge le nouveau parti "Europe-écologie-les-Verts".

Tout serait-il à reconstruire ou à construire ? Voilà qui est angoissant mais aussi passionnant.


samedi 8 janvier 2011

Sans les abeilles, nous ne pouvons vivre

Certes les pétitions ne suffisent pas.

Certes, c'est le système économico-politique qui est en cause.
Certes, le gouvernement français soutient ce système et en fait partie.
MAIS...
qui se tait se laisse tuer,
l'opinion publique finit toujours par se faire entendre,
alors, signons.


Les abeilles sont en train de disparaître et toute notre chaîne alimentaire est menacée. Les scientifiques mettent en cause des pesticides toxiques, mais la France vient d'autoriser la mise sur le marché de l'un de ces produits. Appelons-la, ainsi que l'UE, à interdire l'ensemble de ces produits pour éviter l'extinction des abeilles.

Les abeilles ne font pas seulement du miel, elles sont une humble et géante force de travail, pollinisant 90% des plantes que nous cultivons. De multiples études scientifiques mettent en cause un groupe de pesticides toxiques pour expliquer leur rapide disparition, et les populations d'abeilles ont augmenté dans plusieurs pays d'Europe qui ont interdit ces produits. Mais la France, sous la pression des puissantes industries chimiques, vient de renouveler l'autorisation de l'un de ces pesticides. Pour sauver les abeilles nous devons faire changer la position de notre gouvernement. Nous n'avons pas de temps à perdre, le débat fait rage quant aux mesures à prendre pour sauver ces espèces. Il ne s'agit pas seulement des bourdons et des abeilles, il s'agit de notre survie. Envoyons un appel gigantesque au gouvernement français, très influent sur la politique agricole européenne, pour faire interdire ces produits chimiques et sauver nos abeilles ainsi que notre alimentation.

Signez la pétition urgente, et faites la suivre à tous
. Ces dernières années ont été marquées par un profond et inquiétant déclin mondial des populations d'abeilles, certaines espèces d'abeilles sont maintenant éteintes et d'autres ne totalisent plus que 4% de leur population d'origine. Les scientifiques avancent plusieurs explications. Certaines études indiquent que le déclin est dû à une combinaison de facteurs incluant maladie, perte de l'habitat, et produits chimiques toxiques. Mais des recherches indépendantes à la pointe du sujet ont mise en avant de fortes preuves mettant en cause les pesticides du groupe des néonicotinoïdes.

L'Italie, la Slovénie et même l'Allemagne, où est basé le principal fabriquant Bayer, ont interdit certains de ces produits. Mais Bayer, Syngenta et d'autres continuent d'exporter ce poison dans le monde. Et la France, pendant un temps fer de lance des interdictions, vient tout juste de renouveler pour un an l'autorisation commerciale d'un produit-phare contenant cette substance toxique.

Une fuite révèle que l'Agence de Protection de l'Environnement des États-Unis avait connaissance des dangers de ces pesticides mais les a ignorés. Le document indique que le produit "hautement toxique" de Bayer représente "une préoccupation de risque majeur pour les insectes non ciblés [les abeilles]". Nous devons faire entendre nos voix pour contrer la très forte influence des industriels sur les décideurs politiques et les scientifiques, en France, en Europe et aux États-Unis où ils financent les études et siègent dans les organes de régulation.

Les vrais experts (les apiculteurs et les agriculteurs) demandent l'interdiction de ces pesticides mortels pour les abeilles, jusqu'à ce que, et seulement si de solides études indépendantes prouvent qu'ils sont sans danger. Soutenons-les dès à présent.

Signons la pétition ci-dessous, et faites suivre cet email :
https://secure.avaaz.org/fr/france_save_the_bees/?vl

Nous ne pouvons plus laisser notre fragile chaîne alimentaire aux mains d'une recherche contrôlée par les entreprises de chimie et les organes de régulation que ces industriels soudoient. Bannir ce groupe de pesticides nous rapprochera d'un monde plus sûr pour nous-mêmes et pour les autres espèces que nous aimons et dont nous dépendons.


PLUS D'INFORMATIONS


Abeilles: le ministère de l'Agriculture renouvelle l'autorisation du Cruiser, L'Humanité, 8 Décembre 2010
http://www.humanite.fr/08_12_2010-abeilles-le-ministère-de-lagriculture-renouvelle-lautorisation-du-cruiser-459571

L'UNAF dénonce le renouvellement illégal de l'autorisation du pesticide Cruiser, Communiqué du 9 Décembre 2010
http://www.avaaz.org/communique_unaf

Le futur des abeilles entre les mains du lobby des pesticides? Corporate Europe Observatory et Cordination Apicole Européenne, Novembre 2010
https://docs.google.com/viewer?url=http://bee-life.eu/medias/news/futur-fr.pdf

L'apiculture française s'organise, la lutte contre les pesticides au coeur de l'action, Actu-environnement, Février 2010: http://www.actu-environnement.com/ae/news/apiculture_abeille_unaf_pesticides_9639.php4

Les élus signent une charte de soutien aux apiculteurs, La France Agricole, Mars 2010:
http://www.lafranceagricole.fr/actualite-agricole/abeilles-pesticides-les-elus-signent-une-charte-de-soutien-25513.html

Document révélant la connaissance qu'avaient les autorités des Etats-Unis de la toxicité des pesticides (en anglais): http://www.sfgate.com/cgi-bin/blogs/green/detail?entry_id=79910


(Avaaz signifie "voix" dans de nombreuses langues)

http://www.avaaz.org/fr/contact,


jeudi 6 janvier 2011

2010 : Annus horribilis



https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiLQZ2R1HizptZ78x8ArxYOfeDX-8wqZ9R4jmm1wRi_8UkOp2Enh7M_CRzdCe631v9FWJ_xOv_g8W8i2zXkcQJCTZIJcTbaBRLADJQoXSVg64k_lezmVfWSAwSVAOckHC2ijIXMJTH5awMv/s320/annus_horribilis.jpg





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Tremblements de terre très meurtriers, incendies gigantesques, pollution pétrolière immense, inondations jamais vues, marée géante, boues rouges monstrueuses...



Aux quatre "coins" du monde, en Haïti, en Chine, en Russie, en Israël, dans le golfe du Mexique, en Australie, au Pakistan, en Inde, au Vietnam, en France (Vendée), en Hongrie, le monde a souffert mille morts.

Des événements inattendus, comme l'éruption surprenante d'un volcan en Islande, ont aussi bouleversé les transports aériens.



Nous en sommes encore à nous demander si ces événements exceptionnels se sont trouvés rapprochés par le plus imprévisible des hasards ou si les bouleversements climatiques ont accentué le nombre et l'intensité de ces phénomènes.

La vérité est-elle connue, dite, voire... recherchée !



Il est temps de parler de précaution, non par principe mais par prudence et sagesse. Nous allons manquer du blé russe et australien. Nous savons que le charbon australien fera défaut. Les prix des matières alimentaires enflent. Allons nous connaître, à nouveau, les "émeutes de la faim" ? À moins que, d'excès en excès, ne surgissent les émeutes de la... fin !

L'inquiétude majeure repose sur la passivité et l'impuissance des États. Les promesses non tenues en Haïti, malgré les... 250 000 morts sont révélatrices d'un absence de conscience internationale !



2011 sans partage, hospitalité et solidarité serait donc une nouvelle "annus horribilis". Aucune action politique ne prime sur ce constat : la terre est une et les humains qui y vivent ne peuvent compter que sur eux-mêmes. S'ils manquent à la coopération, ils tuent, se tuent et les morts sont plus nombreuses encore que celles que produisent les guerres !

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La paix sans justice n'est qu'une attente de violences toujours plus affreuses. Les leçons de 2010 seront-elles tirées ? Nous voudrions pouvoir le croire... La seule mondialisation acceptable ce n'est pas celle des profits mais celle de la découverte que notre sort est commun.





samedi 1 janvier 2011

Décroître c'est grandir !

Nous voici entrés en 2011. Rien ne semble changer dans les comportements et les choix économiques. On ne parle plus de décroissance. Et pourtant... Il faut lire cet article qui remet les montres à l'heure, à l'heure des "gaz réchauffants", à l'heure de l'indispensable décroissance énergétique que nul n'accepte. Là se trouve le virage de civilisation par lequel il faudra bien passer ! Les écologistes n'en parlent pas suffisamment. Et pour cause : ça contrarie leurs plans électoraux. Eh bien, ils vont devoir le faire tout de même, sinon leur propre crédit politique fondra comme neige au soleil. Bonne année de décroissance ou d'entrée, enfin, dans la logique incontournable de la décroissance.

Décroissance : «politique préconisant un ralentissement du taux de croissance dans une perspective de développement durable». (Le Larousse)

Point de vue : Décroître c'est grandir !
par Denis Delbecq
paru dans Le Monde, le 16.11.10

Enfant, je faisais des igloos chaque hiver, tout près de Paris. N'en déplaise à Claude Allègre, Laurent Cabrol et aux disciples de l'église climato-sceptique, mes enfants n'en ont vu qu'en photo. Depuis mon enfance, la consommation mondiale d'énergie a plus que doublé ; elle devrait encore croître de moitié d'ici vingt-cinq ans. La quasi-totalité de cette croissance s'est faite – et se fait toujours – à l'aide de sources d'énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) dont la combustion rejette de formidables quantités de gaz à effet de serre.

Ce lien entre l'évolution du climat de la planète, et les émissions de gaz "réchauffants" n'est pas une vue de l'esprit. Il repose sur un faisceau toujours croissant de données scientifiques. C'est bien la combustion des hydrocarbures qui provoque un réchauffement global. Et si le climat conserve sa variabilité annuelle, la tendance à moyen et long terme est une quasi-certitude, nous disent les climatologues : le climat se réchauffe vite. Aujourd'hui, la plupart des dirigeants politiques, des responsables des grandes entreprises énergétiques de la planète et des citoyens sont informés du double défi posé par le climat et la disponibilité d'une énergie à un prix abordable. Et pourtant, personne, aucun pays, aucune entreprise majeure, n'a vraiment décidé d'agir en conséquence. Croître et grandir, la devise reste de mise, advienne que pourra. L'humanité reste tranquillement engagée sur le pire des scénarios de croissance de la consommation d'énergie modélisé par les climatologues, le fameux business as usual.

A quelques heures de la veillée de Noël, l'an dernier, j'ai rencontré Christophe de Margerie, président-directeur général de Total, pour un portrait que m'avait confié le mensuel Terra Eco, paru dans l'édition d'avril 2010. Christophe de Margerie m'a donné "sa" vérité sur le pétrole. Ce jour-là, la France avait froid, les livraisons de fioul allaient bon train, et Christophe de Margerie défendait son entreprise : "S'il y a un problème de livraison de fioul, en ce moment, qui appelle-t-on ? Total ! Ce n'est pas Hulot ou Arthus-Bertrand que l'on va chercher, c'est nous ! C'est curieux quand même pour des salopards". Derrière ces propos "crus", il y a une vérité. Le monde a soif de pétrole, et donc besoin des producteurs d'énergie. Il y a une seconde vérité qui stimule la première : personne n'a intérêt à ce que cela change. Pas plus le patron de Total, les responsables politiques, que la plupart des consommateurs. Personne ? Juste l'humanité et les bientôt neuf ou dix milliards d'âmes qui la constitueront.

Depuis la préhistoire, l'ingéniosité et la technologie humaine ont permis des progrès fantastiques, notamment quand il s'est agi de nourrir une démographie galopante. Mais c'est de notre capacité à extraire l'énergie et notamment le pétrole qu'est venu le formidable essor de nos sociétés, permis par les révolutions agricoles. N'importe quel candidat au baccalauréat fera le rapprochement entre le niveau de développement d'un pays, et sa consommation d'énergie par habitant. Pourtant, il y a urgence à casser cette spirale infernale. Urgence parce que l'ingéniosité a des limites : chaque progrès pour aller chercher des énergies fossiles s'accompagne d'un coût qui s'envole, et d'un impact sur l'environnement qui va croissant.

En dépit de décennies de recherches, aucune source d'énergie ne permet aujourd'hui de remplacer le pétrole, le gaz et le charbon, dont la ressource s'amenuisera et le prix s'envolera. Ni le nucléaire, que personne – sauf peut-être quelque fanatique – n'imagine suppléer les hydrocarbures sauf dans quelques pays : coût et délai de construction déraisonnables, stockage de déchets encore en suspens, risque de prolifération de matières fissiles dans un monde de plus en plus dangereux, etc. De leur côté, le solaire, l'éolien, la biomasse ne se développent pas assez vite pour répondre aux défis. Les agro carburants ont déjà montré des effets pervers, et la séquestration du gaz carbonique de nos usines et centrales ne fera pas ses preuves avant longtemps.

Que reste-t-il alors pour éviter le mur que chacun d'entre nous contribue à construire ? Certains évoquent une décroissance, radicale, de notre consommation. Une option qu'il est aisé de qualifier de "retour à la bougie". Mais cette crainte ne garantit qu'une chose : que l'humanité restera les bras croisés, à regretter sans protester, par exemple, les projets de forage et de routes maritimes dans l'Arctique, dont les retombées écologiques accélèreront la fonte d'une banquise déjà mal en point. C'est bien de la décroissance que viendra une partie de la solution. Parce qu'on sait aujourd'hui diviser par deux, quatre, huit parfois, la dépense d'énergie – et les émissions de gaz à effet de serre – pour un même service rendu. Mais pour y parvenir, il faut de l'audace. De l'audace politique – parce qu'il n'est pas facile d'imposer des règles dans une société de liberté –, de l'audace économique, et du culot : allez expliquer à un actionnaire que vous entendez sabrer ses dividendes pour financer la lutte contre la précarité énergétique qui commence à ronger notre société et qui freine le développement au Sud. Choisie, la décroissance est une garantie d'empêcher un brutal retour en arrière, tout en luttant contre les inégalités. Une manière de faire grandir notre civilisation. Une décroissance subie, c'est tout l'inverse.

http://www.lemonde.fr/imprimer/article/2010/11/16/1440442.html
Denis Delbecq est aussi l'éditeur du site Effets de Terre.
http://effetsdeterre.fr

Précision de l'auteur : "Ce texte avait été écrit – bénévolement – à la demande de la revue Politiques énergétiques diffusée par le groupe Total. Mais le patron de l'entreprise, Christophe de Margerie, a refusé de le publier, refusant – sans les contester – la citation de ses propos en l'état."