vendredi 22 juin 2012

Les leçons de l'échec de Rio+20

Écologie et Société
Le sommet de la Terrre de Rio de Janeiro a accouché d’une déclaration finale riche d’enseignements. Beaucoup a déjà été écrit sur le contenu de cette déclaration, véritablement affligeant, tant il comporte des régressions sur les droits et un consentement à l’ordre du monde qui est à l’origine des crises que nous vivons. C’est un texte hors sol, hors contexte, hors crises.
 
Rien sur la globalisation économique et financière, rien sur les limites écologiques et sur l’épuisement des ressources, rien sur les plusieurs milliards de personnes condamnées à la survie, et qui devraient trouver leur salut dans l’accès aux marchés. Aucune pensée ne traverse le texte, aucun souffle, une récitation des psaumes de la croissance et du marché.
 
Ce texte signe une crise profonde et l’agonie du multilatéralisme. Il n’a de cesse de répéter que les solutions relèvent de politiques nationales, actant ainsi le refus conjoint de nombreux États de tout engagement multilatéral. Jusqu’à la caricature. L’eau cesse ainsi de relever d’accords internationaux, elle est renvoyée à la souveraineté nationale, et donc à la loi du plus fort, à ceux qui peuvent construire les plus grands barrages, capter les sources sur leurs territoires. Nous ne serons pas surpris de trouver là l’alliance des Etats-Unis, du Canada, du Brésil, de la Chine, de la Turquie, pour ne citer que les plus importants. Quant au droit universel à l’accès à l’eau, acté par l’assemblée générale des Nations unies, il fait déjà l’effet d’une relique barbare dont le texte final s’est débarrassé. C’est la même chose pour l’énergie, qui devait pourtant être un temps fort de ce sommet.
 
Notons bien que ce retour affirmé aux politiques nationales ne signifie en rien une relocalisation ou une « déglobalisation ». La place donnée aux transnationales regroupées dans le Global Compact, cité explicitement dans le texte comme partenaire essentiel, l’ode au libre-échange, la nécessaire inclusion dans les marchés mondiaux pour les millions de paysans qui meurent de faim, ne laisse aucune illusion : la souveraineté nationale exprime seulement la latitude laissée aux États de se soumettre aux exigences des marchés, sans limites.
 
Et l’Union européenne dans tout cela ? Les temps ont bien changé depuis Rio 1992 et ses suites, notamment le protocole de Kyoto. La globalisation a fini d’exporter à l’échelle du monde le modèle économique et social né en Europe. Et au grand jeu de la concurrence qu’elle continue à promouvoir, l’Europe n’est plus au centre du monde. Ce n’est pas un accident dû à la crise qu’elle traverse, c’est désormais une condition structurelle et un des éléments de sa crise. Ici à Rio, l’Union européenne, contre le G77+Chine alliés à l’Amérique du Nord, a défendu une position multilatérale. Elle a été si humiliée qu’elle en est arrivée, fait exceptionnel pour l’UE toujours à la recherche de consensus, à menacer en assemblée plénière de ne pas signer le texte. Elle a été d’autant plus affaiblie qu’elle n’a pu accompagner ses propositions d’un moindre euro mis sur la table, ce que réclamait le G77.
 
Mais nous ne pouvons nous arrêter là sans examiner le contenu de ce multilatéralisme. L’Union européenne a été un des promoteurs essentiels de l’économie verte, entendue comme une extension de la valorisation économique des services écosystémiques et de leur financiarisation. Elle est d’ailleurs le continent pilote pour les marchés du carbone. À ce titre, elle souhaitait une réglementation multilatérale pour la mise en place de cadres favorables à cette économie verte. Elle s’est heurtée aux États qui refusent l’économie verte car ils entendent pro téger leurs entreprises d’une éventuelle augmen tation des coûts, aux pays émergents qui veulent poursuivre le modèle productiviste sans limitation extérieure, aux pays les plus pauvres qui exigeaient des financements en retour.
 
L’Europe néolibérale est dépassée par ce qu’elle a contribué à engendrer. Au jeu de la concurrence mondiale, elle a perdu. Elle ne pourra retrouver une place dans ces négociations qu’en engageant, sur son territoire, une transition écologique et sociale significative. Une transition qui signifierait une bifurcation du modèle qu’elle a promu, en s’engageant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici 2020, à réduire la consommation d’énergie, à promouvoir les énergies renouvelables sur une base décentralisée, à sortir de la société du pétrole et de la dépendance énergétique qui pèse sur ses comptes, à créer les nouveaux emplois et les protections sociales qui s’imposent.
 
Ce nouveau modèle redonnerait toute sa place à l’Europe. Et ceci d’autant plus que le succès des pays qui se sont alliés pour polluer tranquillement à l’intérieur de leurs frontières nationales est bien provisoire ! Les catastrophes qui s’annoncent laisseront peu de temps de répit. Et l’Union européenne pourrait alors avoir le soutien de la « société civile », non pas celle des lobbies industriels et financiers qui ont monopolisé cette négociation, mais celle des mouvements sociaux et des ONG.

lundi 18 juin 2012

C'est la politique internationale de l'occident qui multiplie les réfugiés !

 

800 000 nouveaux réfugiés en 2011 : c'est le nombre le plus élevé depuis 2000


© HCR/F.Jaccoud
Nombre de réfugiés pour 1 dollar de PIB/habitant (parité de pouvoir d'achat)
GENÈVE, 18 juin (HCR) Selon un rapport statistique publié aujourd'hui par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, l'année 2011 culmine en terme de déplacement forcé incluant le passage d'une frontière  avec le plus grand nombre de personnes devenues réfugiées jamais enregistré depuis 2000.
Le rapport statistique du HCR « Tendances mondiales pour 2011 » met en avant, pour la première fois, l'étendue du déplacement forcé généré par une série de crises humanitaires majeures qui a commencé à la fin 2010 en Côte d'Ivoire, rapidement suivie par d'autres en Libye, en Somalie, au Soudan et ailleurs. Au total, quelque 4,3 millions de personnes ont été nouvellement déracinées, dont 800 000 d'entre elles ont fui leur pays et sont devenues réfugiées.
« L'année 2011 a été le théâtre de profondes souffrances. Tant de déracinés happés dans la tourmente en un laps de temps très court entraîne un coût élevé au plan personnel pour toutes les personnes affectées », a indiqué António Guterres, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés et chef du HCR. « Nous ne pouvons qu'être reconnaissants au système de protection internationale d'avoir tenu bon et sur le fait que les frontières soient restées ouvertes. Cette année a été particulièrement difficile. »
A travers le monde, 42,5 millions de personnes ont fini l'année 2011 soit en tant que réfugiés (15,2 millions), soit en tant que déplacés internes (26,4 millions), soit en ayant déposé une demande d'asile (895 000 personnes). Malgré le nombre important de nouveaux réfugiés, le chiffre global était inférieur à celui de 2010 qui avait enregistré 43,7 millions de personnes, principalement par l'effet compensatoire du retour chez eux de nombreux déplacés internes (3,2 millions), le chiffre le plus important pour le retour de déplacés internes jamais enregistré depuis plus d'une décennie. Parmi les réfugiés, et malgré une augmentation dans les rapatriements volontaires par rapport à 2010, 2011 est la troisième année enregistrant un faible nombre de retours (532 000) pour cette décennie.

© HCR/F.Jaccoud
Principaux pays d'accueil des réfugiés, fin 2011
En se basant sur une période de 10 ans, le rapport montre plusieurs tendances inquiétantes avec, d'une part, le nombre considérable de personnes déracinées à travers le monde, avec un chiffre dépassant les 42 millions de personnes pour chacune des cinq dernières années. D'autre part, une personne qui devient réfugiée aujourd'hui le restera sans doute pour de nombreuses années. Elle est souvent bloquée dans un camp ou elle vit dans des conditions précaires en milieu urbain. Sur les 10,4 millions de réfugiés relevant de la compétence du HCR, près de trois quarts d'entre eux (7,1 millions) vivent en exil prolongé depuis au moins cinq ans, dans l'attente d'une solution.
C'est l'Afghanistan qui génère le plus grand nombre de réfugiés (2,7 millions) suivi de l'Iraq (1,4 million), la Somalie (1,1 million), le Soudan (500 000) et la République démocratique du Congo (491 000).
Près du quatre-cinquième des réfugiés dans le monde ont fui vers des pays voisins. D'importantes populations réfugiées se trouvent, par exemple, au Pakistan (1,7 million de personnes), en Iran (886 500), au Kenya (566 500) ou au Tchad (366 500).
Parmi les pays industrialisés, l'Allemagne demeure le plus important pays d'accueil avec 571 700 réfugiés. Parallèlement, l'Afrique du Sud a reçu le plus grand nombre de demandes d'asile individuelles (107 000), et ceci depuis les quatre dernières années.
Le mandat initial du HCR consistait à aider les réfugiés. Toutefois, depuis la création de l'agence il y a six décennies, son travail s'est élargi avec l'aide également apportée à travers le monde à de nombreux déplacés internes ainsi qu'aux apatrides, c'est-à-dire les personnes qui sont dépourvues d'une citoyenneté reconnue et des droits fondamentaux qui l'accompagnent.

© HCR/F.Jaccoud
Principaux pays d'origine des nouveaux demandeurs d'asile, en 2011
Le rapport « Tendances mondiales pour 2011 » souligne que seulement 64 Etats ont fourni des statistiques sur les apatrides, ce qui signifie que le HCR n'a pu obtenir des chiffres que pour un quart des 12 millions d'apatrides à travers le monde.
Sur les 42,5 millions de personnes qui se trouvaient dans une situation de déplacement forcé à la fin 2011, toutes ne sont pas prises en charge par le HCR : quelque 4,8 millions de réfugiés, par exemple, sont enregistrés auprès de notre agence sœur, l'UNRWA, l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. Parmi les 26,4 millions de personnes déplacées internes, 15,5 millions d'entre elles bénéficient de l'aide et de la protection assurées par le HCR. Au total, le nombre de bénéficiaires du HCR, réfugiés ou déplacés internes, s'élève à 25,9 millions de personnes en 2011. Il s'est accru de 700 000 personnes par rapport à l'année 2010.
Le rapport sur les tendances mondiales est le principal rapport statistique du HCR sur la situation du déplacement forcé dans le monde. Des données supplémentaires sont publiées chaque année dans notre annuaire statistique annuel et dans nos rapports publiés deux fois par an sur les demandes d'asile déposées dans les pays industrialisés.

samedi 16 juin 2012

Rio + 20 : prendre conscience des enjeux vitaux

Sortons du silence. En période électorale, rien n'était audible. Maintenant commencent les choses sérieuses. Il est plus que temps de briser les mythes faussement écologistes qu'on veut nous vendre... en même temps que la croissance ! L'économie verte est une économie capitaliste à dénoncer. L'analyse de Gustave Massiah, ci-après, en fait la démonstration.


Gustave Massiah
Représentant du CRID au Conseil International du Forum Social Mondial (FSM)
Membre du Conseil Scientifique d’Attac

Rio+20 verra la confrontation entre les trois sorties possibles de la crise structurelle ; entre trois visions du monde.

Le document de travail préparé par les Nations Unies et les Etats, est centré sur une vision de l’ « économie verte » que les mouvements contestent totalement. Dans cette vision, la sortie de la crise passe par l’élargissement du marché mondial, par le « marché illimité » nécessaire à la croissance. Elle propose d’élargir le marché mondial, qualifié de marché vert, par la financiarisation de la Nature, la marchandisation du vivant et la généralisation des privatisations. Cette démarche est entamée à l’inverse de toute démarche de régulation publique et citoyenne. C’est une extension de la logique néolibérale, celle d’un capitalisme dérégulé qui conduit à la catastrophe.


Dans cette logique, il s’agit de s’opposer à l’idée que l’accès aux droits est acquis par la gratuité. La Nature produit des services (elle capte le carbone, elle purifie l’eau, etc.) L’affirmation est que ces services sont dégradés parcequ’ils sont gratuits. Pour les améliorer, il faut leur donner un prix, un prix défini par le marché. Il faut les marchandiser et introduire de la propriété. Il s’agit de remplacer  le droit de propriété humaine sur la Nature par une propriété privée qui permettrait une bonne gestion de la Nature. Il faut laisser cette gestion de la Nature aux grandes entreprises multinationales, financiarisées, qui sauront la gérer et pallier à ses insuffisances. Une nouvelle offensive est menée dans la préparation pour éliminer, dans le document, toute référence aux droits fondamentaux qui pourrait affaiblir la prééminence des marchés.

La deuxième conception est celle du Green New Deal, défendue par Joseph Stiglitz et Paul Krugman. C’est un réaménagement en profondeur du capitalisme qui inclut une régulation publique et une redistribution des revenus. Elle est peu audible car elle implique un affrontement avec la logique dominante, celle du marché mondial des capitaux, qui refuse les références keynésiennes et qui n’est pas prêt à accepter qu’une quelconque inflation vienne diminuer la revalorisation des profits. La situation nous rappelle que le New Deal adopté en 1933 n’a été appliqué avec succès qu’en 1945, après la deuxième guerre mondiale
 
La troisième conception est celle des mouvements sociaux et citoyens ; elle a été explicitée dans le processus des FSM. Les mouvements sociaux ne sont pas indifférents aux améliorations en termes d’emploi et de pouvoir d’achat que pourrait apporter le Green New Deal. Mais ils constatent l’impossibilité de les concrétiser dans les rapports de forces actuels. Ils considèrent que la croissance productiviste correspondant à un capitalisme, même régulé, n’échappe pas aux limites de l’écosystème planétaire et n’est pas viable.

Ils préconisent une rupture, celle de la transition sociale, écologique et démocratique. Ils mettent en avant de nouvelles conceptions, de nouvelles manières de produire et de consommer. Citons : les biens communs et les nouvelles formes de propriété, le contrôle de la finance, le "buen-vivir" et la prospérité sans croissance, la réinvention de la démocratie, les responsabilités communes et différenciées, les services publics fondés sur les droits. Il s’agit de fonder l’organisation des sociétés et du monde sur l’accès aux droits pour tous. Cette rupture est engagée dès aujourd’hui à travers les luttes, car la créativité naît des résistances, et des pratiques concrètes d’émancipation qui, du niveau local au niveau global, préfigurent les alternatives.